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Attaqué avec vigueur, le paganisme s’était très mollement défendu. Comme il se glorifiait surtout d’être la religion nationale, il s’en remettait volontiers à la protection de l’État. Aussi semble-t-il que, lorsqu’il se vit délaissé par l’autorité, il ait entièrement perdu courage. Cependant il y eut, en certains pays, quelques essais de résistance qui firent d’autant plus de bruit qu’ils étaient plus rares. On connaît la défense qu’opposèrent les prêtres et les philosophes quand on voulut détruire le Sérapéum, et les batailles sanglantes qui furent livrées pendant plusieurs jours dans les rues d’Alexandrie. Il se passa quelque chose de semblable en Afrique. On vient de voir que les temples y furent fermés, en 399, par l’autorité. Les sacrifices publics y étaient interdits, comme dans le reste de l’empire, mais il était facile de tourner la loi. Sous le prétexte d’une fête de famille, ou même pour célébrer quelque anniversaire officiel, on s’assemblait en grand nombre chez un particulier riche, ou dans les scolœ des associations ; et, pendant le repas, on faisait aux dieux proscrits des offrandes et des prières. Sur la demande des évêques d’Afrique, l’empereur défendit ces réunions. Les païens en furent outrés. A Calame (aujourd’hui Gelma), où ils étaient sans doute plus nombreux et plus puissans qu’ailleurs, ils continuèrent à se réunir comme auparavant. Le 1er juin, ils affectèrent de passer, en chantant et en dansant, devant l’église, où l’on célébrait les offices ; et, comme les clercs sortaient pour leur demander de s’éloigner, ils les reçurent à coups de pierres. Le lendemain, quoique l’évêque eût rappelé les habitans à l’observation de la loi, les pierres continuèrent à pleuvoir sur l’église et sur les fidèles qui s’y rassemblaient. Cette fois, les notables chrétiens se décidèrent à intervenir. Ils se présentèrent devant les magistrats et firent insérer leurs plaintes sur le registre qui contenait les délibérations de la cité. On leur répondit par une violente sédition. Le feu fut mis à l’église ; on poursuivit les clercs qui se trouvaient dans les rues, et même l’un d’eux y fut tué. Les autres n’échappèrent qu’en se cachant, ou par la protection d’un étranger, qui essaya seul d’arrêter les rebelles ; car la municipalité, effrayée ou complice, ne se montra pas. Ces événemens, qui se passaient aux portes d’Hippone, montrèrent à saint Augustin que le paganisme n’était pas aussi vaincu qu’on le croyait ; et lorsque, deux ans après, la prise de Rome eut ranimé la colère de ses partisans, on comprend qu’il ait cru devoir livrer encore une bataille contre un culte qui s’obstinait à ne pas mourir.

Il avait une autre raison de le faire, qui n’était pas moins importante. Non seulement le paganisme conservait quelques partisans fidèles qui le pratiquaient ouvertement, mais, parmi ceux qui l’avaient quitté, beaucoup gardaient des attaches secrètes pour