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les deux comtes de l’empereur, Gaudentius et Jovius, qui étaient des chrétiens zélés, fermèrent tous les temples de Carthage et renversèrent toutes les statues des dieux. A partir de ce moment, le paganisme fut traqué dans tout le pays. Saint Augustin était alors évêque d’Hippone, et l’on peut dire que, dans sa longue carrière épiscopale, il assista aux derniers momens de la vieille religion.

Il fut très heureux de la voir périr, et applaudit à toutes les mesures qui devaient hâter sa fin. On sait qu’il avait longtemps hésité avant d’approuver que l’État intervînt dans les questions intérieures de l’Eglise et punît les hérétiques de peines rigoureuses. Mais pour les païens, il n’eut pas un moment de scrupule. Il trouvait sans doute très naturel qu’on leur appliquât les lois dont ils s’étaient servis contre les chrétiens, et il lui semblait que les anciens persécuteurs ne pouvaient pas se plaindre d’être à leur tour persécutés. Il avait d’ailleurs une raison particulière qui lui faisait désirer ardemment que le paganisme fût anéanti : il lui semblait qu’on pouvait en tirer un argument irréfutable pour établir la vérité du christianisme. Les livres saints avaient annoncé que le culte du vrai Dieu serait un jour répandu dans tout l’univers : « Tous les rois de la terre l’adoreront, disaient-ils, et tous les peuples seront ses serviteurs. » Au moment où ils parlaient ainsi, l’idolâtrie régnait sur le monde entier ; elle était la religion de tous les états, et personne ne pouvait imaginer qu’elle dût jamais céder la place au dieu d’une petite nation, la plus détestée et la plus méprisée de toutes. Il fallait lire dans l’avenir, être vraiment prophète et inspiré, pour prévoir avec cette précision un événement en apparence si invraisemblable. Et pourtant cet événement, auquel personne ne pouvait s’attendre, était sur le point d’arriver ; tous les jours on voyait des temples se fermer et le nombre des païens se réduire. Naturellement, saint Augustin en triomphe : « Qu’ils nous raillent tant qu’ils voudront, disait-il, qu’ils vantent leur science et leur sagesse. Ce que je sais, c’est que ces moqueurs sont cette année bien moins nombreux que l’année dernière ; » et il compte bien qu’ils ne tarderont pas à disparaître entièrement. Chaque loi qu’on fait contre l’ancien culte rapproche le moment où cette ruine annoncée par les livres saints sera complète. C’est une prophétie qui s’accomplit sous les yeux des incrédules, et qui, en s’accomplissant, confirme toutes les autres. Comment saint Augustin n’aurait-il pas su gré aux empereurs qui rendaient ce service au christianisme d’en faire éclater la vérité. Loin de témoigner quelque pitié pour la religion qui tombe, il éprouve une sorte d’impatience de la voir se débattre si longtemps, puisque sa chute doit compléter une démonstration qui ne laissera plus de doutes à personne.