Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/357

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs croyances, mais la foule des indécis, placés sur les limites des deux cultes, et qui, suivant les circonstances, passaient d’un camp à l’autre, les écoutait avec faveur. Il fallait de toute nécessité qu’un chrétien s’occupât de leur répondre.

Saint Augustin était alors le plus grand personnage, non-seulement de l’épiscopat africain, mais de toute l’église. Depuis les apôtres, personne n’avait joui, parmi les fidèles, d’une aussi grande autorité. C’était l’opinion commune qu’il avait des lumières de tout, et qu’il était capable de résoudre les problèmes les plus obscurs. Aussi, voyons-nous par sa correspondance qu’on lui écrivait des parties du monde les plus éloignées sur les questions les plus diverses. On peut dire que, de sa petite résidence d’Hippone, il surveillait la chrétienté entière, raffermissait les âmes ébranlées, éclairant les consciences incertaines, conseillant les faibles, encourageant les forts, combattant les rebelles. Ses admirateurs le comparaient au pilote qui conduit, pendant l’orage et parmi les écueils, la barque du Christ. Les attaques que, depuis la prise de Rome, les païens dirigeaient contre l’église, ne pouvaient échapper à un œil aussi vigilant. Aussi a-t-il soin d’y répondre dans tous les sermons qu’il a prononcés à cette époque. L’insistance qu’il met à le faire, malgré l’avis des timides qui croyaient qu’il valait mieux ne rien dire et ne pas entretenir des souvenirs fâcheux, la chaleur avec laquelle il cherche à prouver que le christianisme n’est pour rien dans les malheurs de l’empire, montre qu’il se rendait compte du danger que ces reproches faisaient courir à l’église. Bientôt même il ne lui parut plus suffisant de parler à quelques fidèles, dans un coin obscur du monde chrétien. Il résolut de s’adresser à la chrétienté tout entière et composa la Cité de Dieu.


III

La Cité de Dieu est une œuvre immense, qui demanda beaucoup de temps et de travail à saint Augustin. Il la commença en 413 et ne la finit qu’en 426, quatre ans avant de mourir. Elle a donc été la principale occupation de ses dernières années. Chaque partie fut publiée à part et parut à de longs intervalles. Les ouvrages composés de cette manière risquent de manquer d’unité : dans celui-ci, l’auteur semble avoir voulu se prémunir contre ce défaut en se traçant d’avance un plan régulier, et en multipliant les divisions et les subdivisions. A chaque livre nouveau, il a grand soin de résumer ce qu’il a fait et d’annoncer ce qu’il va faire ; mais l’ordre n’est qu’à la surface ; à tout moment, il lui arrive de revenir sur ce qu’il a dit ou d’empiéter sur ce qu’il va dire. L’œuvre n’étant pas écrite de