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de l’austère Port-Royal à la chapelle pompeuse de Versailles ; elle est compassée avec le Grand Roi, mondaine, insinuante et contournée dans le siècle des jésuites, presque coquette avec les abbés de cour, puis bientôt héroïque entre les murs grossiers d’une chapelle vendéenne.

L’église orthodoxe croirait déroger, si elle changeait ainsi de robe suivant la couleur du temps. Elle a mis tous ses soins à rester stationnaire. Dans la péninsule, en Asie, la forme du temple orthodoxe ne change guère. À peine quelques variantes dans les combinaisons géométriques : un vaisseau plus élancé en Grèce, quelques ornemens nouveaux dans la Syrie centrale, une certaine grâce d’origine persane dans l’Arménie ou dans la Géorgie. Mais nulle invention ; nulle trace d’un caractère propre à ces peuples. Un seul s’est montré original. Du moins son esprit jeune et vivace a fécondé ses emprunts : ce sont les Russes. Ils ont eu beau copier les vieux modèles dans le temple comme dans la doctrine, ils ont été novateurs, presque à leur insu. Pourquoi ? parce que de temps en temps, ils recevaient en plein visage le vent d’Asie, qui leur arrivait directement, sans passer sur les coupoles de Constantinople. Sans doute, ils avaient été domptés par l’église byzantine, qui leur avait soigneusement rogné les ongles. Elle réprimait sévèrement les écarts de l’imagination russe, et la tenait en lisière. Mais l’enfant robuste par instans s’échappait ; de sa première nourrice, la grande Asie, venaient des bouffées de rêves, des contes à dormir debout, d’éclatantes fanfares de formes et de couleurs. Tantôt il s’éprenait de quelque bijou persan, damasquiné, niellé d’arabesques, couvert d’animaux symboliques, et l’imitait naïvement sur les murailles. Tantôt un souffle étrange et capiteux lui apportait les parfums de l’Inde, dans le coup de vent de l’invasion mongole, et le lendemain, on retrouvait sur le temple chrétien les colonnes fuselées, les chapiteaux pansus, les coupoles bulbeuses, les hautes pyramides à huit pans, qui abritent là-bas la demeure du Bouddha. Les vases sacrés se couvraient de fleurs de lotus et de roses pareilles à des escarboucles. Ainsi se forma cet art unique, symbole de la double destinée d’un grand peuple, élégant, hardi, coloré, qui découpe sur le ciel du nord la silhouette audacieuse et molle d’un temple indien, et qui jette dans la monotonie des grands horizons, comme autant de cris aigus, l’éclat métallique de ses clochers. Mais cet art, en se rajeunissant, restait fidèle à la conception hiératique : l’Asie ne pouvait lui en fournir d’autre : l’Asie, cette mère des cultes formalistes ; cette reine de la beauté matérielle, qui varie à l’infini le dessin capricieux d’une étoile, et qui ne saurait enfanter une statue. De sorte que la Russie, dans son