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d’abord ravi par le chatoiement des dorures, par les lueurs fauves des mosaïques, par les grands jets de lumière, harmonieusement coupés à la rencontre des arcs. S’il s’agissait seulement d’un concours d’architecture classique, la cathédrale de Reims devrait s’incliner devant le temple byzantin. Toutes ces figures jetées comme au hasard sur l’énorme façade du temple catholique, et brisant à chaque instant l’équilibre des lignes, paraîtraient autant de verrues sur un visage ridé, si l’on apercevait à côté cette savante pondération, cette sobriété, cette grâce, cet emploi judicieux des couleurs, qui distinguent l’œuvre orientale. Évidemment, à Constantinople, l’ouvrier était plus habile. Ce n’est pas lui qui commettrait la faute d’exagérer les angles, d’y accrocher de lourds fleurons, de multiplier d’inutiles pendentifs. Cet artisan supérieur a fondu tous ces styles. Il a emprunté à la Grèce, à Rome, à la Perse, supprimant plus qu’il n’ajoutait, redressant, allégeant, mariant ensemble les formes géométriques dans une élégante épure. Amoureux d’un profil, fier de la beauté de ses lignes, il tient en bride la fantaisie du sculpteur. Il lui confie le soin d’orner discrètement les fonds, les frises, les tympans. Il lui permet de varier le motif d’une broderie délicate, de faire courir, dans quelques pieds carrés, une ingénieuse passementerie de pierre. Mais il lui interdit les puissans reliefs, les refouillemens profonds, les masses dégagées. Il se réserve de faire miroiter les marbres sur la belle nudité des murs. Certes, je suis sensible à cette magie de la couleur et de la forme. À l’heure où le soleil vient animer ces voûtes, aussi correctes, dans leur courbe, que la révolution des astres, et toute brillantes d’un éclat mystérieux, je crois entendre les longues vibrations d’un accord parfait : me voilà transporté dans la musique des sphères, qui nous enivrerait, dit-on, si nous pouvions l’entendre. Je m’écrie, moi aussi, comme ce voyageur : c’est bien la demeure d’un Dieu ! — Oui, mais de quel Dieu ? si impersonnel, si général, si vague, qu’il a suffi de quelques retouches pour approprier ce marbre aux cultes les plus dissemblables. Je reconnais ici les colonnes du temple d’Ephèse, et plus loin celles de Baalbeck. Ce baptistère servait aux ablutions des adorateurs d’Apollon, à Delphes. Quand les Turcs à leur tour se sont emparés du monument sacré, ils n’ont eu qu’à barbouiller de plâtre la figure des saints et des empereurs ; ils ont orienté le miram du côté de la Mecque ; et soudain l’église chrétienne est devenue la mosquée par excellence. D’emblée, Mahomet s’est trouvé chez lui. Pour s’installer à Reims, il aurait dû faire d’autres aménagemens.

Je soulève avec respect cet enduit de plâtre, et dans les mosaïques encore fraîches, je peux déchiffrer la pensée des Grecs. Je