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disaient-ils, votre opinion sur la nature du Christ ? Pensez-vous que les Saxons, les Avares ou les Slaves donnent dans le fin de vos distinctions théologiques ? Pendant que vous faites la guerre aux statues, les barbares sont là qui menacent de tout emporter : les statues, les livres et vous-mêmes avec. Apprivoisez d’abord ces bêtes féroces et laissez faire au Saint-Esprit. »

Maintenant, jetons un regard sur les deux édifices que les églises rivales ont élevés face à face. Je m’arrête au pied d’une de nos cathédrales, celle de Reims, par exemple. La vie circule sur toutes les faces du temple. Elle envahit les murailles, se blottit dans les corniches, déborde sur les frises, escalade les flèches. Au sommet du grand portail, au milieu des clochetons, des rosaces et des trèfles empanachés qui éclatent comme un bouquet triomphal, le Christ se tient assis dans la pose d’un souverain débonnaire. La tête souriante, légèrement rejetée en arrière, il se tourne à demi vers la Vierge, qu’il couronne d’un geste à la fois fier et tendre. Autour de lui, les anges s’empressent, et balancent l’encensoir ; leurs grandes ailes frémissantes supportent des corps souples sur des escaliers de nuages. Aux pieds du couple auguste, à travers la végétation luxuriante des nervures et des entrelacs, tous les êtres de la création se groupent et se croisent dans une chaîne sans fin. Des vignerons font la vendange, des chevaliers s’arment pour la bataille, des pèlerins s’avancent, la robe relevée dans la ceinture, le bourdon à la main ; des mères allaitent leurs enfans ; et le rayon de soleil qui perce l’ombre des voussures accroche au passage des pans de draperies flottantes, des bras levés, des fronts pensifs, de beaux seins de femme moulés dans leur corsage. Les princes, les ducs et les barons, drapés dans leurs manteaux, se rangent en longues files sous les pieds des saints. Plus loin, des rois tout nus, la corde au cou, vont cuire dans l’enfer, en bonne compagnie de prélats et de moines. Tout a sa place marquée dans l’échelle infinie, les fleurs, les fruits, les animaux, les serfs et les seigneurs, les métiers et les blasons, tout, jusqu’aux monstres informes de la nuit, les gargouilles et les vampires au regard louche, la satire au rictus énorme, le vice à la bouche tordue : tout s’ordonne et se perd dans la majesté de l’ensemble, de même qu’en une symphonie, les dissonances suivent et rehaussent le thème principal. Large et tolérante philosophie, si sûre d’elle-même alors, qu’elle n’avait besoin de proscrire aucune forme de la pensée.

Tout autre est l’impression qu’on éprouve devant une église orthodoxe. Allez voir la plus fameuse de toutes, cette coupole de Sainte-Sophie qui trouble le sommeil des tsars. L’œil est tout