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Turenne était au milieu d’un cercle d’officiers lorsque la lettre de Condé lui fut remise. Il la lut à haute voix sans commentaire. Après un long silence, il rappela le trompette de M. le Prince et le menaça d’une punition exemplaire si jamais il rapportait une lettre pareille. Aucune réponse ne fut envoyée.

Est-il besoin d’ajouter que cet échange de sarcasmes et de lettres amères ravit Mazarin ? Ne craignant rien tant qu’un retour d’accord entre Turenne et Condé, il mit tout en œuvre pour aviver le ressentiment du maréchal et rendre la rupture complète ; c’est ce qui arriva. On se rappelle que les relations entre les deux capitaines, affectueuses dès la jeunesse, restèrent cordiales quand ils servirent ensemble. Condé rendit toujours la plus éclatante justice au mérite de Turenne ; il ne négligea rien pour l’arrêter sur la pente de la défection, ni pour le rétablir dans le service en 1649. Turenne se battit pour Condé prisonnier. — Lorsqu’à la majorité du Roi, le maréchal abandonna le parti de M. le Prince, leurs rapports se refroidirent sans cesser d’être courtois, même au milieu de la guerre ; à dater de ce jour ils cessèrent complètement. Avec des éclairs d’impartialité, Condé, aigri, froissé, emporté par son tempérament, se laissa aller souvent à de grandes vivacités de langage en parlant de son rival. Turenne, plus gourmé, se contint davantage, mais sans cacher sa disposition et la sévérité persévérante de ses jugemens. Les rapports ne reprirent qu’à la paix avec une réciprocité complète dans la déférence et la profonde estime, mais sans jamais revenir à l’intimité des anciens jours.


HENRI D’ORLEANS.