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étaient garnis de mousquetaires. A chaque décharge succédait aussitôt un retour offensif des escadrons que M. le Prince groupait avec art, conduisait lui-même, les faisant paraître ou disparaître, avancer ou reculer successivement. Surpris de se voir ainsi disputer le terrain pied à pied, ne pouvant distinguer ce qu’il avait devant lui, CAstelnau[1], qui commandait l’avant-garde française, ralentit son mouvement pour attendre l’infanterie. — M. le Prince venait de fournir sa dernière charge et s’apprêtait à franchir le pont qui le menait sur la rive droite de l’Escaut, lorsqu’il reconnut d’anciens amis parmi les cavaliers arrêtés assez près et en face de lui. « Il demanda à parler sur parole ; nos volontaires et nos officiers de la tête tinrent cette conférence à beaucoup d’honneur[2]. » L’entretien terminé, M. le Prince fit rompre les trois escadrons qu’il avait gardés sous sa main, et traversa au pas le pont de l’Escaut, ainsi que les prairies inondées. Suivi de très loin, sans être inquiété, il rejoignit le gros de l’armée sous les murs de Condé ; tous ensemble continuèrent la retraite jusqu’à Tournay.

Mais l’affaire n’en resta pas là. De son camp devant Condé, Turenne rendit compte à Mazarin. Pour faire parvenir sa lettre à Bavay, il la confia à « un garçon qui devait passer l’Escaut à nage. » Ce porteur fut arrêté, la lettre saisie et remise à M. le Prince. « On a trouvé, disait Turenne, l’armée des ennemis dans un vieux camp proche de Valenciennes. Ils y ont faict travailler toute la nuict et c’est le plus beau poste du monde. Il y a eu grande contestation entre M. le Prince et les Espagnols, le premier voulant, à ce qu’il adict, y demeurer ; enfin les Espagnols l’ont emporté et ont marché. Ils n’avoient point de bagage avec eux, ce qui est cause qu’ils n’ont point faict de perte considérable. On a suivi leur arrière-garde jusques à Condé, où, ayant rompu le pont, leur dernier escadron a passé à nage. Ils ont laissé le canon à Valenciennes, ne pouvant le retirer… C’est M. de Castelnau que j’ay faict suivre l’arrière-garde de M. le Prince. Il a trouvé que l’on a faict assés grande diligence[3]. »

M. le Prince releva dans ce récit plusieurs inexactitudes, un ton dégagé, suffisant, et avec les obscurités, les réticences familières à Turenne, des insinuations malveillantes. Se croyant offensé dans son honneur de soldat, il adressa aussitôt au maréchal la lettre véhémente qu’on va lire :

  1. Premier lieutenant-général de l’armée avec autorité sur les autres (Turenne à Mazarin, 21 juin ; Affaires étrangères. — Voir, dans les Mémoires de Bussy, les démêlés auxquels cette décision donna lieu. Sur Castelnau, voir t. IV, p. 325).
  2. Mémoires de Bussy.
  3. Turenne à Mazarin ; au camp près de Condé, 14 août 1655. (Papiers de Condé.)