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aurait-il tiré parti de l’affaiblissement des armées françaises, de leurs séparations fréquentes, de l’embarras que causait à Turenne le partage du commandement avec La Ferté. Il n’en fit rien et ne se montra ni mieux inspiré, ni plus actif au début de la campagne de 1655. Sourd aux avis de Condé, il ne sut l’assister dans aucune entreprise, ni déjouer les manœuvres par lesquelles Turenne prépara l’investissement de Landrecies.

Après être resté un mois (11 juin-14 juillet) sur les hauteurs de Catillon sans rien tenter pour sauver cette place[1], Léopold chercha une position d’où il pût observer en sûreté l’armée française, et agir, s’il y avait lieu, dès que le dessein de son adversaire serait prononcé. Il remonta en Hainaut et se retrancha derrière les marais de la Haine, occupant Mons, Saint-Ghislain et Condé pour assurer ses subsistances et ses débouchés.

A la cour, on pressait Turenne d’attaquer cette position. Le jeune roi avait suivi son armée à Bavay (11 août) ; l’occasion était belle pour lui donner le spectacle d’une bataille rangée. Mais « Turenne fut fidèle aux deux maximes : 1° n’attaquez pas de front les positions que vous pouvez obtenir en les tournant ; 2° évitez le champ de bataille que l’ennemi a reconnu, étudié, choisi, et surtout fortifié[2]. » Il résolut de passer l’Escaut en amont de son confluent avec la Haine et de le repasser en aval, pour déboucher derrière les lignes espagnoles et les faire tomber sans les aborder de front. L’archiduc n’attendit pas la fin de l’opération ; dès que les Français eurent traversé une première fois l’Escaut à Neuville, un peu au-dessous de Bouchain, il franchit le fleuve de son côté et se mit à remuer de la terre entre Valenciennes et un petit bois détaché du grand massif de Raismes.

Cette fois la bataille paraissait imminente ; mais repris de ses hésitations, l’archiduc ne l’accepta pas ; il redescendit la rive gauche de l’Escaut, et se retira assez lentement sur la place de Condé (14 août). Obligé, non sans chagrin et sans dépit, de suivre le mouvement, M. le Prince se chargea de l’arrière-garde, quoiqu’il ne fût pas de jour, et couvrit la retraite avec son habileté et sa fermeté ordinaires. D’abord, il masqua le départ de l’armée en distribuant la cavalerie dans les postes quittés par l’infanterie, ce qui donna le change aux Français. Quand ceux-ci virent qu’on ne tirait pas le canon, ils marchèrent droit aux retranchemens ; mais le gros était déjà loin et le rideau avait disparu. Tout le long du défilé et des marais qu’il fallait traverser ensuite, les chaussées ou ponceaux

  1. Landrecies capitula le 14 juillet.
  2. Mémoires de Napoléon.