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extraordinaires, » tout ce qu’il avait accompli dans la nuit et dans la journée des 24-25 août 1654. « La retraite d’Arras est ma plus belle action, répétait l’infirme en agitant ses mains déformées ; je tiens à ce qu’elle soit exactement connue et à ce qu’elle ne passe pas défigurée à la postérité[1]. » Et il avait le droit de rappeler ce souvenir avec fierté. Dans aucune occasion, son caractère ne s’est montré avec plus de suite et de force. Seul, tout seul, au milieu de la nuit noire et de la déroute, il soutient, relève ceux qui l’entourent ou qu’il approche, depuis l’archiduc jusqu’au dernier des soldats, et il semble leur faire part de son beau courage, ce « courage de doux heures du matin » si admiré, si envié ! Pendant dix heures terribles il se dévoue sans relâche pour sauver des troupes qui ne sont pas les siennes ; aucun incident ne le trouve en défaut ; rien ne réussit à troubler la lucidité de son intelligence on la fermeté de son cœur ; on ne peut surprendre une minute de cet affaissement passager auquel los plus grands hommes n’ont pas toujours échappé. — « Tout était perdu, et il a tout sauvé[2]. » — Même en cette très injuste cause, comme dit Montaigne, un tel exemple d’abnégation, de persévérance et de vertu guerrière commande notre admiration.


IV, — CONDE A L’ARRIÈRE-GARDE. — SA RUPTURE AVEC TURENNE, 1655.

M. le Prince fut le premier atteint par la victoire d »s Français : La Ferté alla prendre Clermont en Argonne. C’était le complément de la prise de Stenay ; il ne restait plus rien à Condé de son domaine du Clermontois, plus un vestige de ses possessions aux frontières de Champagne. De son côté, Turenne fit un pas en avant dans le Nord, s’empara du Quesnoy. Les deux conquêtes avaient une certaine valeur politique ou stratégique, mais qui ne répondait pas à l’importance d’un événement aussi considérable que le secours d’Arras. Il fallut compter avec l’armée espagnole qui, au lendemain de son échec, se retrouvait presque intacte en hommes ; non moins habile à créer des ressources pour l’organisation qu’à trouver dans le conseil des objections à tous les projets, Fuensaldaña pourvut rapidement à ce qui manquait. Si l’archiduc avait pu, lui aussi, se relever du coup qui frappait son armée, s’il avait laissé à Condé pour la direction des opérations cette initiative qu’il lui abandonnait pendant le tumulte du 25 août, peut-être

  1. Worden a immédiatement fixé ce récit sur le papier et l’a inséré dans les précieux mémoires dont la bibliothèque de Cambrai possède l’original.
  2. Lettre du roi d’Espagne.