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commandement avec La Ferté. Cela faisait peu de monde, 14,000 à 15,000 hommes ; le maréchal crut devoir prendre d’autant plus de précautions, que son collègue était homme à donner beau jeu à M. le Prince, toujours prompt à punir les fautes commises en face de lui. Les voitures restèrent donc chargées, les troupes sous les armes jusqu’à ce que la hauteur et le village fussent retranchés ; mais personne ne sortit des lignes espagnoles, les instances de Condé s’étant brisées contre la force d’inertie de Fuensaldaña. Turenne put achever ses ouvrages et s’établit à Mouchy-le-Preux, portant la cavalerie jusqu’aux bords de la Scarpe, à Pelves[1], où La Ferté prit position et jeta des ponts pour manœuvrer sur les deux rives. Enhardis par ce début, les chevau-légers français battirent la campagne, enlevant les postes, coupant les communications, changeant les rôles, infligeant à l’assiégeant un véritable blocus. Bientôt l’armée de secours se mit en mouvement tout entière, exécuta au tour de la place une sorte de marche militaire, délogea les Espagnols de Saint-Pol et même du Mont-Saint-Éloi. Un moment elle s’enfonça dans le sud, tenant la direction de Péronne, puis reparut renforcée par le maréchal d’Hocquincourt, qui apportait les clés de Stenay. Turenne établit ce nouveau contingent (5,000 à 6,000 hommes) au lieu dit le Camp de César, près du confluent de la Scarpe et du Gy[2] ; puis il revint jusqu’aux lignes de circonvallation et les « côtoya » lentement à demi-portée de canon, non sans péril et même avec quelques pertes, mais avec grand profit ; car il put observer et juger le côté faible, déterminer le point d’attaque… On s’étonnait autour de lui : « Je ne ferais pas une telle imprudence devant les quartiers de M. le Prince, mais je défile devant ceux des Espagnols ; je connais leur esprit de subordination, leur respect de l’étiquette ; avant qu’on n’ait pu arriver jusqu’à l’archiduc et obtenir de lui l’ordre de m’attaquer, je serai loin. » Tout se passa comme il l’avait prédit ; Condé l’a depuis raconté au duc d’York.

Cette reconnaissance ne suffit pas au maréchal ; le lendemain ou le surlendemain, à la faveur d’une escarmouche de cavalerie, il essaya de la renouveler ; mais « il ne put s’y arrêter longtemps à cause du grand feu de canon des ennemis et de leur diligence à monter à cheval[3] ; » le hasard de la guerre l’avait amené cette fois devant le quartier du prince de Condé.

A chacune de ces opérations, de ces témérités, on pourrait dire

  1. Deux kilomètres au nord-est.
  2. Environ sept kilomètres ouest d’Arras.
  3. Mémoires du duc d’York.