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portance quelconque à ce mot de république. Le pavillon semble couvrir provisoirement une singulière marchandise. Une chose est à constater : quelles que soient les explications d’un ordre tout intérieur qu’on en puisse donner après coup, cette révolution brésilienne a certainement éclaté à l’improviste et a ressemblé d’abord à une énigme. Elle a été accueillie en Europe sans prévention, avec plus de surprise que de malveillance, sur la foi des messages du pouvoir nouveau. A mesure cependant qu’elle se dévoile dans sa vérité, dans ses détails, dans ses premiers actes, dans ses tendances, elle apparaît mieux pour ce qu’elle est, — et ce qu’elle est, c’est tout simplement, s’il faut le dire, une aventure, même jusqu’ici une aventure toute militaire. Dès les premiers momens, un des nouveaux maîtres du Brésil, qui est aujourd’hui ministre, ne le cachait pas dans une lettre intime qui vient d’être publiée. Il avouait que ce qui venait d’être fait l’avait été par les militaires et par eux seuls, que l’élément civil n’y était presque pour rien, que le peuple avait « assisté à la chose hébété, surpris, étonné, » croyant assister à une « simple parade ; » il ajoutait qu’on se trouvait « en présence d’une ébauche grossière, incomplète, » que pour l’instant le gouvernement ne pouvait être que militaire.

Et de fait le gouvernement révolutionnaire de Rio a commencé par s’occuper de l’armée en graciant les déserteurs ou en enrôlant des soldats, en multipliant les promotions et les pensions, en décrétant de nouveaux uniformes, sans oublier même un casque au panache flamboyant ! Ce n’est pas tout : au premier moment, les chefs de la révolution ont cru sans doute d’une politique habile d’afficher certaines déférences et même des airs de libéralité à l’égard de l’empereur dom Pedro en répandant partout en Europe qu’on lui laissait les dotations qu’on avait mises à sa disposition, on ne sait combien de millions. C’était d’abord traiter avec peu de respect la dignité du vieux souverain qu’on venait d’arracher nuitamment de son palais pour le jeter sur un navire. C’était, de plus, faire de la libéralité à bon marché en se moquant de l’Europe. En réalité, tout cela a fini par les suppressions des dotations et les confiscations ordinaires. La fantaisie elle-même ne laisse pas d’avoir sa place dans les affaires révolutionnaires du Brésil, et le nouveau ministre de la guerre, qui passe cependant pour un savant distingué, qui est encore plus, à ce qu’il paraît, un positiviste convaincu, profite de l’occasion pour se servir dans ses correspondances et dans ses actes du calendrier d’Auguste Comte ; mais ce qu’il y a de plus grave, c’est que le gouvernement de Rio, qui avait annoncé l’intention d’en appeler au pays, vient de tenir sa promesse d’une singulière façon, en décrétant la réunion d’une Assemblée constituante dans un an, — au 15 novembre 1890 ! Si on rapproche cette date des confidences ministérielles, on pourrait en conclure que le