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tion entrer dans la république ! Au demeurant, quelque pénibles que semblent être ces débuts d’une législature nouvelle, c’est une situation qui commence ou recommence. Rien n’est irréparablement engagé, et avant d’aller plus loin on fera bien d’interroger encore une fois cette année qui s’achève, de rechercher dans tous ces événemens, l’exposition, le centenaire, les élections, la vraie pensée, la volonté de la France, à laquelle nul n’a le droit de se dérober.

On ne peut certes dire d’avance ni pressentir comment tourneront les alla ires du monde dans l’année nouvelle, ce qui en sera, fût-ce d’ici à trois mois, de l’état de l’Europe, des alliances, des rapports généraux, de la paix universelle. Cette question qui renaît d’elle-même aujourd’hui, on l’agitait déjà il y a un an, comme les années précédentes, non sans une indéfinissable et oppressive inquiétude. On craignait l’imprévu et l’inconnu, surtout depuis l’avènement encore récent d’un jeune empereur d’Allemagne entrant dans le règne avec un naturel visiblement un peu impatient et agité. On était loin de se sentir rassuré sur les rapports des premières puissances de l’Europe, sur l’Orient comme sur l’Occident, sur ce qui pouvait sortir de ces grandes combinaisons qui, sous prétexte de garantir la paix, laissent entrevoir toujours et partout la guerre en perspective. Et cependant, tout bien compté, elle a fini par arriver jusqu’au bout, cette année 1889, sans trouble européen, sans accident sérieux. L’outre aux tempêtes est restée fermée pour le bien des peuples. Ce n’est pas que plus d’une fois il n’y ait eu des semblans de paniques, des bruits équivoques, des apparences suspectes. On a pu se demander par instans ce qui se préparait dans le mystère des chancelleries toujours agitées, ce que signifiaient ou ce qu’allaient produire tous ces déplacemens de princes ou de diplomates, toutes ces visites et ces entrevues qui n’ont pas manqué cette année, depuis le voyage du roi Humbert en Allemagne jusqu’à l’apparition du tsar à Berlin, sans parler des pérégrinations de l’empereur Guillaume en Angleterre et en Orient. Au demeurant, c’est la paix qui l’a emporté, et si dans les conditions générales de l’Europe rien d’essentiel n’est changé, rien non plus ne s’est aggravé. On pourrait dire plutôt qu’au milieu des agitations incessantes et des arméniens démesurés auxquels le continent semble condamné, il se forme une sorte d’équilibré un peu étrange, naissant de tant de forces colossales mises en présence, du sentiment de l’effroyable danger qu’une rupture irréparable ferait courir à toutes les nations.

C’est donc avec la paix que finit pour l’Europe une année qui, au début, lorsqu’elle a commencé, semblait enveloppée de nuages et ne laissait pas d’inspirer quelque inquiétude ; c’est avec la paix que s’ouvre l’année nouvelle, et peut-être même, autant qu’on puisse l’augurer, cette paix est-elle moins précaire, moins livrée aux chances de l’imprévu ou, si l’on veut, plus vraisemblable qu’il y a un an. De quelque