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ne dise pas qu’il n’y a là que la recherche d’un plaisir banal, une curiosité frivole, avide d’éblouissans spectacles. Ce mouvement est, au contraire, l’expression d’un instinct aussi juste que profond, qui du premier coup est allé droit à la vérité, qui a déjoué les courtes vues des organisateurs d’anniversaires de parti.

C’est qu’en effet, à voir la révolution française en elle-même et de plus haut, cette exposition en est, pour ainsi dire, l’illustration et la représentation, bien plus que les apothéoses artificielles et intéressées des partis. Elle représente cette révolution, qui reste après tout un des plus grands mouvemens humains, dans son essence et dans son esprit, dans le génie émancipé du travail, dans la liberté des industries, dans le progrès du bien-être public, dans la puissance de l’activité créatrice, dans ce sentiment de solidarité qui, à certains momens, rapproche toutes les nations. Ce qu’il y a eu de fécond, de vivace, de puissant dans la révolution était passé là dans toutes ces œuvres un instant réunies, où des millions de visiteurs ont pu, six mois durant, voir toutes les variétés, les phases, les perfectionnemens et les efforts du travail libre. Et c’est là justement ce qu’il y a de frappant, de caractéristique ; c’est ce qui fait qu’il n’y a rien de frivole ni de vulgaire dans cet instinct d’une population qui, pour célébrer son centenaire, s’est intéressée au succès d’une exposition, image de la vitalité française, plutôt qu’à la commémoration d’événemens stériles ou irritans. Elle a été après tout sensée dans son instinct et dans son choix. Ce qu’elle trouvait au Champ de Mars, c’est ce que la révolution a eu de meilleur, c’est l’œuvre bienfaisante et pratique, c’est ce qui ne trompe pas, — tandis qu’on ne peut pas dire que dans ce qu’elle a eu de politique, la révolution ait laissé des souvenirs exempts d’amertume, un héritage à accepter ou à subir sans réserve. Il est certain que, si elle a réussi en grande partie dans son œuvre sociale, elle n’a pas réussi au même degré dans son œuvre politique, et il n’y a pas trop de quoi se livrer aux commémorations prétentieuses. Qu’on ait tenu malgré tout à célébrer cette date de 1789, soit ; mais on n’a pu la célébrer qu’en se souvenant que, depuis cent ans, il n’y a pas une espérance qui n’ait été trompée, que la France n’a cessé de voyager à travers une série ininterrompue de crises qui ne sont même pas finies, et que, si on voulait faire une exposition de tout ce qu’il y a eu de séditions, de coups d’état, de constitutions, de gouvernemens, le Champ de Mars n’y suffirait pas. C’est malheureusement notre histoire depuis un siècle. La France a vu les révolutions se succéder sous prétexte de continuer la révolution. Les régimes les plus violens ont été possibles, les régimes les plus favorables ont été sans durée, et ce qu’il y a de plus grave, c’est que cette instabilité perpétuelle, ces commotions successives finissent par altérer les traditions libérales les plus inviolables, les conditions les plus nécessaires de gouvernement.