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La conversion des Bulgares est le modèle du genre[1]. Ce prince Boris, dont j’ai rapporté les procédés sommaires, n’était point un chrétien sentimental ; et s’il trouva son chemin de Damas, on peut dire qu’il en connaissait les détours. D’abord, on le voit tâter le pape et donner des espérances à l’empereur Louis. Mais les Francs sont bien envahissans. Réflexion faite, il vaut mieux se tourner vers Byzance. Va donc pour le baptême byzantin ! Justement, il vient de remporter quelques avantages sur l’empereur Michel III. Il signe la paix et se fait baptiser séance tenante. Sa résolution est si soudaine que le patriarche Photius la qualifie d’événement paradoxal. On l’explique après coup par l’influence d’une femme ou par la vue d’un tableau miraculeux. Mais, en réalité, il n’obéit qu’à l’intérêt bien entendu, qui lui montre trois ou quatre états chrétiens tout prêts à l’étrangler s’il reste païen. La première effusion passée, il veut palper les bénéfices de l’opération : il réclame pour la Bulgarie un évêque indépendant. Constantinople fait la sourde oreille : « Vous ne voulez pas ? dit Boris. Très bien ! Je vais à Rome. » Effectivement, il députe auprès du pape Nicolas pour obtenir non plus un évêque, mais un patriarche complet. En cour de Rome, on reçoit les Bulgares à bras ouverts, mais on élude la requête : « Il faut d’abord connaître l’état du pays… Nous enverrons une mission… » Au mois de novembre de l’année 866, deux évêques débarquent en Bulgarie avec une cargaison de livres latins. Les prêtres grecs sont reconduits à la frontière, et le peuple bulgare reçoit l’ordre de louer le Seigneur dans la langue de Tite-Live. Cependant, à Rome, la nomination du patriarche traîne en longueur. Le pape Nicolas est mort. Son successeur se montre moins traitable. On discute les candidats. Boris soutient un certain Marinus. Le pape aimerait mieux un certain Sylvestre. La vérité, c’est que le saint-siège n’a plus besoin de ménager les Bulgares. Il le croit au moins. Une de ces révolutions de palais, si fréquentes à Constantinople, a fait disparaître un empereur et déposé un patriarche, l’un des plus ardens adversaires du pape. Les chances de divorce s’éloignent. On parle de conciliation. Dès lors, pourquoi gâter les enfans ? Ils n’auront pas leur patriarche. Alors le Bulgare furieux perd patience ; il court à Constantinople, et fait sa paix avec les Grecs, qui, cette fois, ne lâchent plus leur proie. On prodigue les caresses à l’évêque de Bulgarie, on lui donne la première place après le patriarche Boris envoie Siméon, son fils, faire ses humanités à Constantinople. Pendant cet échange de politesses, le clergé latin, qui n’a plus rien à faire, plio bagage à son tour et reprend tristement le chemin de

  1. C. J. Jiretchek, Geschichte der Bulgaren.