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avoir des effets immédiats et qu’elle soit peut-être même définitive. Telle est la complication des mécanismes constitutionnels aux États-Unis, qu’on est loin d’en avoir fini par un scrutin. D’abord, ce nouveau congrès démocrate, qui ne sera le congrès légal qu’à dater du mois de mars 1891, ne se réunira qu’à la fin de l’année ; jusque-là les républicains restent toujours maîtres des affaires par la présidence, par le sénat et même par l’ancien congrès qui a voté les lois douanières, qui ne cessera d’exister que dans quelques mois : de sorte que tout se passe encore en famille, entre républicains à Washington, et que le président, dans son dernier message, parle comme si rien n’était arrivé depuis quelques semaines.

Ce message, qui ne date que de quelques jours, est, à dire vrai, un morceau caractéristique. Soit calcul, soit optimisme frivole, le président Harrison se montre fort peu sensible à l’éclatante manifestation qui vient de se produire. Il n’en tient compte, il en parle à peine. Il ne voit rien qui doive interrompre ou atténuer l’expérience du bill Mac-Kinley, cette campagne protectionniste si aveuglément et si bruyamment inaugurée naguère. Au fond, le président Harrison et ses conseillers, ses amis, essaient peut-être de se faire illusion. Ils s’efforcent d’expliquer la défaite de leur parti par toute sorte de raisons, par la corruption, par des coalitions d’intérêts, par d’audacieuses manœuvres de la dernière heure. Ils se disent que dans tous les cas on a du temps, peut-être un an ou dix-huit mois, que d’ici là, avec de l’habileté, — et le secrétaire d’état, M. Blaine, n’en manque pas, — on peut détourner le courant de l’opinion. C’est une tactique comme une autre, elle peut n’être pas sans danger pour plusieurs raisons. D’abord, l’application obstinée du bill Mac-Kinley, qui a soulevé déjà de sérieuses difficultés, soit à l’intérieur, soit avec le commerce étranger, ne fera vraisemblablement qu’aggraver les malaises et irriter l’opinion. D’un autre côté, l’accroissement incessant de la population des États-Unis, qui s’est élevée en dix ans de 50 à 62 millions d’habitans, crée la nécessité de modifier les circonscriptions électorales, et comme les démocrates disposent aujourd’hui en majorité des législatures locales chargées de ce travail, ils ne manqueront pas, sans doute, de se servir de ce moyen au profit de leur cause. Ce que les républicains ont fait plus d’une fois, les démocrates le feront à leur tour. On peut gagner du temps, c’est possible ; on risque aussi de donner plus d’extension et de force à un mouvement dont on affecte aujourd’hui de ne pas tenir compte, lorsqu’on pourrait, avec plus de prévoyance, l’atténuer dans l’intérêt des Américains eux-mêmes et des relations des États-Unis avec l’Europe.


CH. DE MAZADE.