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libéraux, par M. Gladstone lui-même, par M. John Morley, par sir William Harcourt.

C’était pour le coup aggraver la scission et la rendre irréparable. M. Gladstone a relevé avec hauteur ces divulgations indiscrètes par lesquelles on croyait l’embarrasser, — et ici la lutte n’a fait que se compliquer en s’animant ; elle n’a plus été seulement entre M. Gladstone et M. Parnell, elle a été entre M. Parnell et son propre parti, qui a compris aussitôt le danger qu’il y aurait pour l’Irlande dans une rupture avec le parti libéral anglais. Une sorte de duel corps à corps s’est engagé entre le chef et ses principaux lieutenans dans une série de délibérations intimes et passionnées ; les scènes dramatiques, violentes, se sont succédé. M. Parnell a certes payé d’audace et d’énergie, traitant avec un dédain superbe ceux qui lui demandaient une abdication patriotique, affectant les airs d’un dictateur irrité, prétendant en appeler à l’Irlande tout entière. Ses lieutenans, visiblement attristés, mais résolus, n’ont pas moins résisté, essayant de sauver la cause irlandaise des mésaventures personnelles d’un homme. M. Mac-Carthy, M. Sexton, M. Healy, ont tenu jusqu’au bout, appuyés par la majorité de la députation irlandaise, par leurs collègues Dillon, O’Brien, qui ont envoyé des États-Unis le désaveu de leur chef, — par les évêques d’Irlande qui, après avoir paru un moment hésiter, n’ont pas tardé à se prononcer contre le député de Cork. Tout a fini par une rupture déclarée, par la formation d’un nouveau parti irlandais qui a choisi M. Mac-Carthy pour son leader. M. Parnell, pour sa part, est resté inflexible avec une minorité, avec la brigade passionnément dévouée à sa fortune. Les choses en sont là !

Reste à savoir maintenant quelles seront les conséquences de toutes ces péripéties dans les affaires de l’Irlande et de l’Angleterre elle-même. Elles dépendent des circonstances, de l’imprévu. Décidé, comme il paraît l’être, à rester au parlement, à poursuivre sa campagne avec ce qu’il a gardé d’amis, M. Parnell se croit sans doute un assez habile tacticien pour manœuvrer entre les partis. Il a passé une fois des conservateurs aux libéraux, — il repassera, s’il le faut, des libéraux aux conservateurs ; il a même déjà voté, ces jours derniers, avec le ministère, et peut-être ne désespère-t-il pas de ressaisir encore l’ascendant parmi ses compatriotes. Tout vaincu ou diminué qu’il paraisse pour le moment, il est homme à lutter jusqu’au bout, à chercher une revanche de ses mésaventures et à redevenir un embarras. D’un autre côté, il est difficile que tous ces incidens n’aient pas leur contre-coup dans l’état des partis anglais. Jusqu’à ces derniers temps, le parti libéral, même avec la politique de home rule qu’il a si hardiment adoptée, a paru reprendre l’avantage dans une série d’élections partielles, et les succès croissans qu’il a obtenus semblaient être pour lui le gage de plus grands succès dans les élections générales. Aujourd’hui, ce qui