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presque oubliées. Tout s’éclipse devant une bien autre affaire, devant la seule, la grande question qui remue l’opinion depuis quelques jours déjà et n’est pas près de disparaître. Il s’agit des aventures de M. Parnell, de la scission entre le chef irlandais et M. Gladstone, de l’influence que pourront avoir ces incidens sur les destinées de l’Irlande, sur la politique anglaise, sur les rapports des partis dans le parlement et dans le pays. Et d’où vient tout ce bruit ? Le malheur de M. Parnell est d’avoir eu des faiblesses, de s’être laissé prendre dans un procès de divorce devant la cour de Dublin, d’avoir été, en un mot, bel et bien convaincu d’une liaison illégitime. A quoi tient, cependant, la puissance d’un homme qui, depuis quinze ans, a réussi à discipliner et à mener au combat toute une nation, qui a pu être appelé le roi non couronné de l’Irlande et était, hier encore, un arbitre du parlement ? Cette puissance, cette popularité sont menacées aujourd’hui pour une galanterie qui devient un événement. Il y a eu, il est vrai, plus d’un exemple de chefs militaires ou politiques anglais qui ont eu des faiblesses et qui n’en ont pas été sérieusement compromis dans leur gloire ou dans leur ascendant, Les Nelson, les Fox, les Melbourne, les Palmerston ont eu leurs galanteries, connues, divulguées, sans en être moins populaires. Cette fois, l’aventure de M. Parnell, surpris dans des amours illicites, a soulevé la pudeur britannique ; elle peut coûter au roi non couronné l’autorité qu’il a conquise par plus de dix années d’efforts ou rejaillir sur l’Irlande elle-même, et c’est là précisément la question qui s’agite.

Que dans cette police des mœurs, dans cette sévérité puritaine entretenue et ravivée par les fanatiques de la social purity, il y ait la part du pharisaïsme, du vieux cant anglais, et peut-être même quelque calcul, cela se peut. Les faits ne restent pas moins ce qu’ils sont. On a voulu évidemment ménager une partie de l’opinion en sauvegardant les droits de l’éternelle morale, et c’est M. Gladstone qui, avec sa vieille autorité, s’est chargé de l’exécution du coupable en signifiant le divorce du parti libéral anglais, non pas avec l’Irlande, mais avec le chef judiciairement convaincu d’imprudentes amours. Il a déclaré ni plus ni moins que M. Parnell ne pouvait plus rester le leader de l’Irlande dans le parlement sans nuire à la cause de son pays, que le parti libéral dans tous les cas n’avait plus rien à faire avec lui. Peut-être avec plus de désintéressement ou plus de flexibilité, M. Parnell aurait-il senti la nécessité de s’éloigner de lui-même, ne fût-ce que temporairement, et aurait-il évité un éclat. Il n’a écouté que son orgueil ; il a voulu tenir tête à l’orage en homme enivré de sa puissance, de sa popularité, et rendant coup pour coup, il a répondu par un manifeste où, en maintenant sa position, en dissimulant ce qu’il y avait de personnel dans son affaire, il a mis tout son art à intéresser l’Irlande à sa cause, à irriter ses défiances et ses susceptibilités. Il a fait plus : il a cru pouvoir divulguer de prétendues confidences qui lui auraient été faites par les chefs