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ces droits régaliens. L’État devrait faire le sacrifice de toutes ses habitudes, de toutes ses routines ; il devrait se résigner à ignorer l’administration de la compagnie. Une gestion qui ne répondrait pas à notre attente serait encore supérieure à la gestion coloniale de l’État. On ne sait au juste si nous sommes colonisateurs ; on sait pertinemment que l’État ne l’est point. À propos de l’abandon de Whidah au Dahomey, je lisais naguère cet aveu significatif dans une feuille d’un langage très mesuré, le journal le Temps : « Plusieurs des chefs de maisons françaises établis en ce point ne désiraient aucun changement à l’état de choses existant. Ils s’accommodent des exigences parfois bizarres des Dahoméens et savent très bien comment les amener à composition ; enfin, avouons-le, il en est qui n’étaient pas sans redouter l’administration française, avec sa réglementation souvent étroite et tracassière. » Les négocians préfèrent l’administration du Dahomey à l’administration française !

Il suffit de ces quelques traits pour indiquer le vaste cadre où la compagnie pourrait et devrait se mouvoir. Est-ce un rêve ? Avant de l’énoncer, j’ai recueilli de nombreux indices qui le montrent réalisable. Il y a dans le monde commercial une génération nouvelle, très hardie, désireuse de faire neuf et de faire juste. Il y a dans les divers milieux sociaux des bonnes volontés toutes prêtes, lasses de bien des choses en France, disposées à s’associer librement pour une œuvre d’utilité commune. Au premier appel sérieux, on verrait surgir ces élémens de tous les points de l’horizon.

Quel serait le champ de travail d’une pareille compagnie ? Les événemens l’ont marqué : ce serait notre empire de l’ouest africain, tous ces territoires dont le Soudan français formera le noyau, qui vont être reliés ensemble, délimités par le Sénégal, le Niger, les rivières du sud. La compagnie s’approprierait le programme des Soudanais, exposé plus haut. Elle exploiterait ce qu’il y a de meilleur dans notre lot ; elle ne perdrait pas de vue le lac Tchad ; en se hâtant, elle réussirait peut-être à disputer au commerce anglais le nord du Soudan central. Si le succès couronnait ses efforts, il y aurait dans quelques années une ligne de fortes positions françaises au sud du Sahara. Alors nous pourrions penser sans imprudence à lancer le transsaharien. On ne le conçoit pas comme un fil de sonde allant plonger dans l’inconnu, dans les aventures et les déceptions ; on le conçoit comme une voie attendue à son extrémité, sûre d’y trouver accueil dans une grande gare française. La voie pourrait être amorcée de ce côté. Vaincre le grand désert, balayer les nomades qui l’infestent, c’est une grosse entreprise ; pour la mener à bien, ce ne serait pas trop d’un mouvement convergent,