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Barbe-Bleuette, de M. Thomé ; Jeanne d’Arc, de M. Widor, et l’Enfant prodigue, de M. Wormser. Mais pardon, je nommais seulement les musiciens. Je ne me rappelle plus quel était le collaborateur de M. Thomé ; celui de M. Wormser est M. Michel Carré fils ; ceux de M. Widor sont : pour la poésie (car il y en avait un peu), M. Dorchain ; pour l’équitation, M. Fillis, peut-être ! On a joué ces diverses pantomimes partout : dans le monde, dans les cercles, aux Bouffes-Parisiens et à l’Hippodrome ; représentations à pied et à cheval, spectacle de salon, de théâtre et d’écurie ! En dépit du local et d’une interprétation trop équestre, la musique de M. Widor n’est pas de la musique de cirque, et, pour accompagner un cheval présenté en liberté ou le saut des bannières par Mlle Angelina, elle ne vaudra jamais l’ouverture des Diamans de la Couronne. M. Widor a tiré le meilleur parti possible des élémens qu’on mettait à sa disposition. Il a pris l’orchestre de l’Hippodrome tel quel, ou à peu près. Sans pouvoir l’affiner beaucoup, surtout sans vouloir le grossir, il en a obtenu quelques effets heureux. Une élégie de hautbois, des appels lointains jetés sur quelques accords de harpes, ont suffi pour évoquer des visions pastorales ou surnaturelles. La partie héroïque nous a paru moins bien réussie. Notons pourtant, au tableau du siège d’Orléans, des chœurs et des ballets charmans. J’ai souvenir de certaines trompettes dont la sonnerie obstinée au milieu d’un chœur ou peut-être d’une danse avait de l’originalité.

En somme, M. Widor a écrit quelques pages de musique distinguée pour une cavalcade vulgaire, oh ! très vulgaire. Pardon si le mot cause un scandale rétrospectif parmi les fanatiques de cet été. Fanatiques n’est pas trop dire : j’ai vu des musiciens, et non des plus petits, aller dix ou douze fois à l’Hippodrome et reprendre, à propos d’une parade hippique, l’éternelle prophétie de la musique de l’avenir. Ah ! l’avenir ! l’avenir ! que de paradoxes on émet en son nom ! Chacun de nous l’escompte, l’engage, le compromet à sa guise. Il n’est jamais là pour se défendre et nous démentir.

On a dit sérieusement, en juillet dernier, on a même écrit que l’Hippodrome allait nous consoler des tristesses de l’Opéra, que le drame lyrique futur, c’était la pantomime. Je souhaite, au moins, que ce ne soit pas cette pantomime-là. L’équitation est une chose et l’art dramatique une autre. Jeanne d’Arc n’était pas un grand, mais un gros spectacle, et figurer ainsi l’épopée de la vierge guerrière, c’est moins la populariser que la vulgariser et, par momens, la rendre presque ridicule, car je n’ai rien vu de plus ridicule que la prise d’Orléans à l’Hippodrome. la mise en scène, dont on a tant parlé, était dérisoire. La place même du Vieux-Marché, qu’on imagine étroite et débordante de spectateurs, avait l’aspect d’un désert de sable où passaient quelques ombres de moines, de juges et de bourreaux. Il fallait bien réserver toute la figuration pour l’apothéose et le défilé final. — Oh ! alors, nous