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s’étaient déjà battus pour la liberté, entre autres un prêtre serbe, un jeune Bulgare, un avocat slovène, et des héros monténégrins dont quelques-uns avaient au moins six pieds de haut.

Mais le personnage principal, c’était Bakounine, le fugitif russe, le grand agitateur panslaviste. Grâce à lui, notre maison devint, pour ainsi dire, le quartier-général de la propagande slave. Au milieu de ces Slaves de race pure, les Tchèques ne faisaient pas très bonne figure.

Assurément, le jour où toutes les nationalités se réveillaient, elle avait bien aussi le droit de renaître à la vie, la nation qui avait soutenu la grande lutte des Hussites contre l’empereur et contre le pape, qui avait commencé la guerre de trente ans, qui avait produit des hommes tels que Huss, Hiéronyme, Ziska, George Podiébrad, des poètes comme Kolar et Celakowski, des savans tels que Comenius, Purkinje, Palacky ! Mais les jésuites avaient ruiné la nationalité slave en Bohême. Quand éclatèrent les révoltes de 1848, les Tchèques étaient à peu près germanisés. Ils retrouvèrent facilement leur langue, cette superbe langue d’où sont sortis le Jugement de Libussa, et les écrits des frères Moraves, où résonnaient les beaux vers de la Fille de la Gloire ; mais, en dehors de la littérature, tout ce qui constitue une nationalité avait disparu. De sorte que l’on se trouva fort embarrassé pour rétablir le costume national, après avoir banni l’habit allemand, ou plutôt français. Il fut trop évident que ce costume national n’existait plus. On tâcha d’y suppléer en empruntant les costumes des autres tribus de la grande famille slave, ou en se reportant aux modes historiques. De là cette sorte de Babel de costumes, qui donnait à Prague, en 1848, l’aspect d’un immense bal masqué.

Parmi les femmes, les unes portaient la kazabaïka polonaise, les autres le costume de la cour du temps de la reine Elischka de Bohême, avec la traîne, le petit sac suspendu à la ceinture, le bonnet et le voile.

Le corps national de la Swornost portait les czimas (bottines lacées) hongroises, le pantalon français, la redingote polonaise à brandebourgs, le kalpak de Cosaques, en peau d’agneau grise, et il était armé de hallebardes.

La société des étudians, la Slavia, avait adopté la botte polonaise, le pantalon hongrois, la redingote et le bonnet carré polonais. Faster, le brasseur, en même temps tribun du peuple, se promenait avec un béret en velours et un manteau espagnol. La baronne de Neipperg portait la schouba (longue pelisse brodée d’or, et garnie de fourrure noire), comme une boyarine moscovite du temps d’Ivan le Terrible.