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2,500 kilomètres. La voie de Paris à Saint-Pétersbourg. Un gros morceau.

Jusqu’à ces derniers temps, deux fantômes redoutables obstruaient la route : les Touareg, les sables. Ces fantômes se sont évanouis. Il est tombé, le funèbre litzam, le voile noir qui cachait les figures farouches des gardiens du désert. Le peuple targui est peu nombreux, disséminé sur la surface du Sahara, divisé en petites tribus rivales. Quelques-unes de ces tribus, les Azdjer, les Taïtoq, ont déjà noué des relations avec nous. Les plus hostiles sont hors d’état de résister à une démonstration militaire. La mission Flatters a été massacrée par une poignée de maraudeurs. C’est une opinion arrêtée, chez les officiers et les explorateurs du sud algérien, qu’une faible colonne aura raison des partis de pillards qu’elle rencontrera sur sa route, et qu’on pourra s’entendre avec les grands chefs. D’ailleurs, les Touareg sont avant tout des caravaniers, très avisés pour tout ce qui regarde le commerce. Ils essaieront d’abord de nous intimider par quelques fantasias belliqueuses ; mais s’ils nous voient résolus dans notre entreprise et s’ils y trouvent leur intérêt, ils s’arrangeront pour en tirer parti. Malgré la légende, ce sont des guerriers qui préfèrent les écus aux coups de fusil. Ils seront incommodes, mais non très dangereux ; on n’a plus de doutes à cet égard.

Les sables aussi sont balayés. Après tant d’explorations, la constitution géologique du Sahara est suffisamment connue. Il est formé de plateaux pierreux, séparés par des vallées à direction régulière, comme des lits de fleuves sans eau. L’eau jaillit sous la sonde artésienne à de faibles profondeurs. Les îlots de sable ne recouvrent qu’une partie des plateaux, le tracé de la future voie les évite sur presque tout le parcours. Un rapport officiel qui offre toutes garanties résume ainsi les résultats de la première mission Flatters : « Découverte dans l’Oued Igharghar d’un large passage par lequel une voie ferrée peut franchir l’Erg en ligne droite, sur un terrain ferme et plat à fond de ballast, sans avoir à surmonter un instant l’obstacle des sables ; eau facile à trouver partout, en forant des puits d’une profondeur maxima de 15 mètres ; possibilité d’établir la voie sans aucune difficulté jusqu’à 1,000 kilomètres au sud d’Ouargla. » On ne saurait être aussi affirmatif pour le reste du tracé ; cependant, il ne s’écartera guère de la route des caravanes ; Barth et Nachtigal nous ont appris que cette route arrive au Tchad par des terrains de même structure, sans traverser de grands ensablemens.

Dans l’état actuel de nos connaissances, c’en est fait des anciennes objections contre la possibilité de construire la voie et de la garder. Il en reste de très fortes contre son utilité. Elle coûtera,