Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/892

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et semblent protester contre l’immobilité des personnages. Ce n’est plus l’image, c’est l’illusion même de la vie qui s’agite sous vos yeux.

A Harlem, où s’écoula toute son existence et où il avait déjà donné des preuves réitérées de son talent, les concitoyens de Hals s’étaient attachés à leur peintre, et, à l’importance des commandes qu’ils lui ont faites, on peut mesurer la sympathie qu’ils avaient pour lui. Avec un peu d’ordre, le prix de ces commandes et des nombreux portraits qu’il peignit pour eux lui aurait assuré une vie honorable et des ressources suffisantes pour sa vieillesse. Mais après une carrière toujours besogneuse, Hals devait connaître l’indigence et finir misérablement, secouru par la charité publique. Toujours à court d’argent, il avait accepté de faire pour ses voisins de Délit, — ils avaient pourtant chez eux un artiste de la valeur de Mierevelt, — un tableau d’archers, aujourd’hui disparu. Quand, en 1037, les gens d’Amsterdam, séduits par sa réputation, l’attirèrent chez eux, probablement par l’appât d’une rémunération supérieure, Hals commença pour leur Doelen une grande toile dans laquelle plusieurs des personnages, notamment le porte-étendard, montraient déjà pleinement ce dont il était capable. Mais l’artiste ne put se décider à la finir, et, laissant inachevé cet ouvrage que Pieter Codde devait terminer après son départ, il regagna bien vite sa chère ville de Harlem, heureux d’y reprendre son labeur et son train de vie accoutumés. Ses compatriotes lui donnaient bientôt une nouvelle preuve de leur bienveillance en lui commandant, en 1639, le tableau des Officiers et sous-officiers du Doelen de Saint-George, dans lequel il s’est représenté lui-même. Il était vraiment là parmi les siens, ce gai compagnon. Membre de la corporation, il pouvait prendre familièrement ses aises et à l’occasion fraterniser le verre en main avec ceux de ses confrères qu’il avait à peindre. Aussi à la fin de ces séances, — il y paraît dans les tableaux de Hals, — les joues de ses modèles étaient fouettées de vermillon, leurs chairs plus moites, leurs yeux humides et brillans d’un éclat singulier. Échauffé par les libations qu’il partageait avec eux, se grisant de sa virtuosité elle-même, le peintre ne déposait pas toujours à temps sa palette. C’était comme une gageure pour lui d’émerveiller la galerie par la justesse et la rapidité de ses coups. Quoi d’étonnant si dans ces parades de maîtrise il dépassait quelquefois la mesure ; si, à côté de morceaux excellens et d’audacieuses réussites, il a des erreurs énormes et des incorrections qui s’étalent avec une désinvolture superbe ? Il estropie celui-ci, attache un bras de travers à cet autre ; ici c’est une tête posée effrontément sur l’épaule ; là un raccourci impossible ; un peu partout des mains bâclées à la diable. Mais c’est le maître, au surplus, qu’il est permis alors d’opposer à lui-même, et comme s’il pressentait qu’il