Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/891

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saint-George, qui porte cette date, est sa première œuvre connue. Aux scrupules et à la timidité qu’il y montre, à l’harmonie un peu austère de tous ces vêtemens noirs, aux colorations brunes qui dominent dans ses ombres, à sa facture elle-même, encore un peu lourde et appuyée, succéderont bientôt des intonations fraîches et claires, à la fois plus franches et plus fines, surtout cette virtuosité incomparable dont les deux Repas d’officiers de 1627 nous offrent le vivant témoignage. Mais s’il est un merveilleux exécutant, Hals n’est rien moins qu’un penseur, et il ne faut jamais avec lui s’attendre à de grands efforts d’esprit, ni à de grandes recherches de composition. Il va où le pousse son tempérament, un peu à l’aventure, se confiant à cette facilité magistrale qui souvent l’a tiré des plus mauvais pas. Sans prétendre renouveler les sujets traités par ses devanciers, il choisit d’instinct cette donnée des Repas qui convient le mieux à ses goûts et à son humeur. Même pour ses plus vastes toiles, l’arrangement de l’ensemble et la manière dont il disposera ses groupes sont les moindres de ses soucis. À part deux légers croquis du musée Teyler faits pour un des tableaux de 1627, le Repas des archers de Saint-Adrien, il aborde de front son œuvre sans étude préalable. En face de la nature qui stimule son ardeur de peindre et avec laquelle il entre résolument en lutte, il trouve aussitôt la pleine possession de ses moyens et cette exécution vraiment prodigieuse qui atteste les dons qu’il a reçus en même temps que la réalité de son savoir. Au dire d’Houbraken, Van Dyck, bon juge en ces matières, admirait plus que personne « une maîtrise de pinceau qu’il n’avait jamais rencontrée à ce degré et qui, du premier jet, sans y revenir, permettait à Hals d’établir les traits caractéristiques d’une physionomie, avec une sûreté et une décision incroyables. » Sans doute, à improviser ainsi sa composition, il y laisse bien des vides, du décousu, des incohérences ; on n’y songe guère, tant le sentiment de la vie éclate et circule généreusement dans ses toiles. Ces personnages qui causent, rient, boivent et mangent entre eux sans s’inquiéter du spectateur, sont d’ailleurs en pleine lumière, car le clair-obscur serait encore un reste de composition, et pas plus que la nature, Hals ne songe à faire un tableau ; il reporte simplement sur sa toile ce qui s’offre à ses regards. Mais si elles n’ont pour elles que leur réalité, ces figures, du moins, l’ont entière et puissante. À ceux qui posent devant lui, le peintre ne laisse pas le temps de se fatiguer, tant son œil est sûr et sa main alerte et docile. Vues de près, ces couleurs rapprochées sans être fondues, ces hachures et ces touches juxtaposées manifestent la vivacité d’un travail un peu expéditif ; à distance tout se tempère, tout s’harmonise, et l’ensemble reste frémissant. Les nuances, bien que distinctes, vibrent à l’unisson, les lignes s’animent