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personnages en buste, alignés en deux files superposées, neuf en bas, huit en haut, comme si ces derniers étaient placés sur un gradin plus élevé. Deux d’entre eux tiennent leurs arquebuses ; les mains des autres sont représentées dans les attitudes les plus diverses, et il semble que l’artiste, en variant ainsi leurs mouvemens, ait voulu faire parade du talent qu’on lui reconnaissait à cet égard. L’habileté de Dirck Jacobsz sur ce point était, en effet, très renommée. Elle excitait l’admiration des amateurs de ce temps, et Van Mander rapporte même que l’un de ces amateurs, Jacques Rauwaert, avait offert une forte somme pour qu’on lui permît de découper plusieurs mains dans un tableau de l’artiste. Mais avec leurs regards profonds et pénétrans, les têtes de ces personnages ne sont pas moins remarquables. Le peintre, il est vrai, les a reproduites avec une fidélité absolue, sans tricher sur leur laideur, et l’expression de leur caractère individuel est si nettement marquée qu’on songe volontairement à Holbein. A voir ces visages imberbes, coiffés de barrettes noires, ces costumes uniformément noirs et ces airs sérieux, on dirait qu’il s’agit ici non pas d’une réunion de gardes civiques, mais d’une assemblée de docteurs traitant quelque austère controverse.

Cette gravité d’aspect, cette monotonie des attitudes, persisteront longtemps dans les tableaux de corporations militaires ; mais, par la suite, les peintres s’appliqueront graduellement à mieux préciser la signification de leurs œuvres. La difficulté pour eux était d’imaginer des actions qui permissent de grouper les personnages qu’ils avaient à représenter, tout en exprimant d’une manière évidente le caractère de l’association à laquelle ceux-ci étaient affiliés. Il eût été naturel de choisir à cet effet quelque épisode inspiré par les exercices de tir auxquels ils se livraient. Mais des scènes semblables paraissaient sans doute trop compliquées pour les procédés sommaires de composition alors en usage ; aussi, les artistes hollandais reculaient-ils devant cette représentation, et l’on est étonné de la timidité persistante et presque enfantine de leurs tentatives et de la lenteur de leurs progrès. La diversité qui s’introduit dans les costumes allait, du moins, leur fournir bientôt des élémens plus pittoresques, en même temps que l’habitude de laisser croître toute la barbe devait donner à la physionomie de leurs modèles un air plus martial. Cette dernière mode tend de plus en plus à s’établir, ainsi que nous le prouvent les tableaux de Cornelis Teunissen, un graveur habile, auteur d’une grande carte d’Amsterdam et qui exécuta aussi pour les Doelen plusieurs peintures importantes. Deux d’entre elles, datées de 1533 et de 1554, sont encore exposées à l’hôtel de ville. Dans la première, les seize membres de la corporation s’offrent à nous alignés en deux rangs, autour d’une table