Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/860

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y avait, au bout de la rue Saint-Antoine, des maisons qui avaient vue sur les jardins de l’Arsenal et de la Bastille ; on y louait des fenêtres pour voir au moins passer Foucquet à l’aller et au retour. Mme de Sévigné ne manqua pas au pèlerinage : « Quand je l’ai aperçu, les jambes m’ont tremblé et le cœur m’a battu si fort que je n’en pouvois plus. En s’approchant de nous pour rentrer dans son trou, M. d’Artagnan l’a poussé et lui a fait remarquer que nous étions là. Il nous a donc saluées et a pris cette mine riante que vous lui connoissez. Je ne crois pas qu’il m’ait reconnue ; mais je vous avoue que j’ai été étrangement saisie quand je l’ai vu rentrer dans cette petite porte. Si vous saviez combien on est malheureuse quand on a le cœur fait comme je l’ai, je suis assuré que vous auriez pitié de moi… Ce n’est pas que l’on ne dise mille choses qui doivent donner de l’espérance ; mais, mon Dieu ! j’ai l’imagination si vive que tout ce qui est incertain me fait mourir. »

Le roi pressait ; il voulait que tout fût fini avant Noël. Le chancelier ne disait plus rien ; il se bornait à un interrogatoire bref et sec. Le 1er décembre, Foucquet fut invité à s’expliquer sur les prêts faits au roi et sur le prétendu détournement de 6 millions en billets de l’épargne, et, comme Séguier, impatient, paraissait à chaque instant vouloir lui couper la parole : « Monsieur, lui dit-il, je vous supplie de me donner le loisir de répondre. Vous m’interrogez, et il semble que vous ne vouliez pas écouter ma réponse. Il m’est important que je parle ; il y a plusieurs articles qu’il faut que j’éclaircisse, et il est juste que je réponde sur tous ceux qui sont dans mon procès. » Il y eut alors dans la chambre des signes d’approbation si évidens que Séguier, malgré qu’il en eût, fut obligé de le laisser dire. « Dieu merci, s’écria Pussort quand il fut sorti, on ne se plaindra pas qu’on ne l’ait laissé parler tout son saoul ! » Le lendemain, Foucquet reprit ses éclaircissemens sur l’affaire des 6 millions, et, le même soir, Mme de Sévigné s’empressait d’écrire à M. de Pomponne : « Notre cher et malheureux ami a parlé deux heures ce matin, mais si admirablement bien que plusieurs n’ont pu s’empêcher de l’admirer. » M. Renard, entre autres, a dit : « Il faut avouer que cet homme est incomparable ; il n’a jamais si bien parlé dans le parlement ; il se possède mieux qu’il n’a jamais fait. » Le 3 décembre, interrogé sur ses grandes dépenses, il reconnut qu’elles avaient été parfois excessives, mais toujours à ses dépens, jamais avec les deniers du roi.

Le jeudi 5 décembre, l’interrogatoire devait être clos. Pour ce jour-là, le chancelier tenait l’accusation de lèse-majesté en réserve. Il fit lire tout au long le plan de défense trouvé à Saint-Mandé. Foucquet, les yeux attachés sur le crucifix placé au-dessus du bureau, semblait prier ; puis, la lecture faite, il dit simplement :