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de ses intérêts. Publications savantes ou populaires, tout ce qu’on lit depuis quelques mois atteste les préoccupations croissantes de l’opinion, sa bonne volonté presque unanime pour notre tâche africaine. Le pays comprend, il admet la nécessité de mettre en valeur notre empire d’outre-Méditerranée, d’en relier les tronçons, d’y pénétrer jusque dans les parties les plus rebelles, et même, si la chose est possible, d’y franchir la barrière des déserts sahariens.

Ah ! si nous avions eu dans ce siècle un grand homme d’état, ce ne serait point de franchir cette barrière qu’il s’agirait aujourd’hui, au contraire ! On s’étudierait à la rendre plus inaccessible encore ; car elle serait la frontière naturelle de la France, de la France continuée au-delà de son lac méditerranéen, sur toute la zone habitable qui s’étend du détroit de Gibraltar à la Mer-Rouge. Si notre politique eût eu la prescience de l’avenir, il y a quarante ans, elle aurait porté tout son effort de ce côté, pendant que l’Europe se débattait dans l’enfantement des nationalités. Durant cette crise intérieure de l’Europe, personne ne menaçait la France, on ne lui demandait que de rester neutre, spectatrice d’un conflit où elle n’avait pas d’intérêts. Sauf l’Angleterre, personne n’aurait eu la pensée ou la puissance de contrôler nos entreprises africaines. Je ne prétends pas que nous eussions réussi sans coup férir ; je crois simplement qu’entre 1850 et 1870, avec la moindre partie du sang et de l’argent dépensés en Crimée, en Italie, au Mexique, sur le Rhin, une politique suivie eût pu retenir l’Egypte et s’assurer du reste, sur tout le pourtour méridional du lac français. Ils n’ont eu que cette idée, en 1840, mais ils l’ont eue. C’était trop tôt ; ils n’avaient pas la force de la réaliser, et l’Europe était encore attentive, libre de ses mouvemens. Un peu plus tard, vis-à-vis d’une Europe bouleversée, repliée sur elle-même, l’idée était mûre pour un gouvernement plus fort et plus résolu. Avant de la traiter d’utopie rétrospective, qu’on se rappelle cette phase de l’histoire contemporaine, et les facilités inespérées qu’elle nous offrit pour une action séparée. L’occasion est à jamais perdue ; perdue avec elle, l’Egypte ; et si les Italiens veulent s’établir à Tripoli, il y aurait des raisons sérieuses de leur souhaiter cette grosse occupation. Rien de plus inutile que les récriminations et les regrets. La situation a changé, notre entreprise africaine est orientée dans un autre sens ; prenons notre parti des conditions nouvelles où les événemens l’ont placée, et tirons-en parti.

Nos Africains se partagent en deux écoles : l’école des Soudanais, qui voit le pivot de notre empire sur le Sénégal et le Niger, avec des courans commerciaux dirigés vers l’Atlantique ; l’école des Algériens et du Transsaharien, qui entend rattacher cet empire à