Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/856

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

abattus de vieillesse de deux hommes, dont les années ensemble faisoient presque cent cinquante ans, pourroient résister aux fatigues et aux incommodités, comme leur vertu avoit résisté à la crainte et à la faveur nouvelle. » Lhoste et Auzanet, ces deux têtes chenues du barreau de Paris, furent d’une constance héroïque ; en dépit de l’âge et de la lassitude, ils n’hésitèrent pas à faire, deux fois la semaine, le trajet de Paris à Moret. Le stratagème n’avait donc pas réussi.

Il est vrai que d’Artagnan devait assister aux conférences de Foucquet avec ses conseils ; nouvelle requête de l’accusé contre cette exigence. Louis XIV fait appeler les rapporteurs, d’Ormesson et Sainte-Hélène ; Colbert et de Lionne sont auprès de lui : « Lorsque je trouvai bon, dit le roi, que M. Foucquet eût un conseil libre, j’ai cru que son procès dureroit peu de temps ; mais il y a plus de deux ans qu’il est commencé et je souhaite extrêmement qu’il finisse. Il y va de ma réputation. Ce n’est pas que ce soit une affaire de grande conséquence ; au contraire, je la considère comme une affaire de rien ; mais dans les pays étrangers, où j’ai intérêt que ma puissance soit bien établie, l’on croiroit qu’elle ne seroit pas grande si je ne pouvois venir à bout de faire terminer une affaire de cette qualité contre un misérable. Je ne veux que la justice, mais je souhaite voir la fin de cette affaire, de quelque manière que ce soit. Quand la chambre a cessé d’entrer et qu’il a fallu transférer M. Foucquet à Moret, j’ai dit à d’Artagnan de ne plus lui laisser parler les avocats, parce que je ne voulois pas qu’il fût averti du jour de son départ. Depuis qu’il a été à Moret, je lui ai dit de ne les laisser communiquer avec lui que deux fois la semaine et en sa présence, parce que je ne veux pas que ce conseil soit éternel. J’ai su que les avocats avoient excédé leur fonction, porté et reporté des paquets et tenu un autre conseil au dehors, quoiqu’ils s’en défendent fort. Et puis, dans ce projet par lequel il vouloit bouleverser l’État, il doit faire enlever le procès et les rapporteurs. C’est ce qui m’a fait donner cet ordre, et je crois que la chambre y ajoutera. Je m’en remets néanmoins à ce qu’elle fera sur la requête de M. Foucquet… Je ne veux que la justice, et sur tout cela, je prends garde à tout ce que je vous dis ; car, quand il est question de la vie d’un homme, je ne veux pas dire une parole de trop. La chambre donc ordonnera ce qu’elle trouvera à propos… » Le roi s’arrêta, parut chercher quelque chose dans sa mémoire, puis il dit : « J’ai perdu ce que je voulois dire… Cela est fâcheux ; en ces affaires il est bon de ne rien dire que ce qu’on a pensé. »

Après le compte-rendu de l’audience royale, la délibération dans