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détournement de 6 millions de livres en billets de l’épargne. « Le procès-verbal de l’ordonnance des 6 millions, protestait Foucquet, est l’extrait le plus rempli de faussetés qui ait jamais été fabriqué par des commissaires de compagnies souveraines. Il est faux pour le lieu, il est faux pour le temps, il est faux pour l’écriture, il est faux pour les personnes nommées comme présentes, il est faux pour ce qu’il exprime des choses contre la vérité, il est faux parce qu’il supprime d’autres choses qui sont de la vérité. »

Colbert était de plus en plus irrité contre d’Ormesson ; la colère lui inspira une étrange démarche. Le père du rapporteur, vieux magistrat, avait soixante-quinze ans. Un jour, il vit entrer dans sa chambre le contrôleur-général et il l’entendit se plaindre de son fils, trouvant fort extraordinaire « qu’un grand roi, craint et le puissant de toute l’Europe, ne pût faire finir le procès d’un de ses sujets ; » à quoi le vieillard répondit : « Je suis bien fâché que le roi ne soit pas satisfait de la conduite de mon fils ; mais je sais qu’il n’a que de bonnes intentions. Je lui ai toujours recommandé de craindre Dieu, de servir le roi et la justice, sans acception de personnes. La longueur du procès ne vient pas de lui, mais de ce que ce procès est grand et rempli de trente ou quarante chefs d’accusation, où il n’en fallait que deux ou trois. » Et comme le contrôleur-général reprochait au rapporteur de présenter plus fortement les raisons de Foucquet que celles de Chamillart : « Un rapporteur, répliqua vivement le père d’Olivier, est obligé de faire valoir toutes les raisons. On a ôté à mon fils l’intendance de Soissons : il ne s’en plaindra pas ; il n’en rendra pas moins bonne justice. » Pendant ce temps, Colbert faisait donner à Berryer une place de conseiller d’État, et pour l’un de ses enfans une abbaye de 6,000 livres de rente. C’était bien le moins qu’on pût faire pour le « solliciteur du roi. » N’était-ce pas, en effet, le titre auquel il avait droit depuis que Séguier avait dit en propres termes à messieurs de la chambre que le roi avait fait choix du sieur Berryer, pour les voir et solliciter en particulier et leur faire entendre ce qui était dans l’intérêt de Sa Majesté ? « Élever Berryer et le faire conducteur public de toutes les affaires de la chambre de justice, a écrit d’Ormesson dans son journal, c’étoit faire gloire d’infamie et de honte ; car Berryer est le plus déshonoré de tous les hommes et acquiert du bien par tous moyens, même par les plus illicites. »

On était déjà au printemps de 1664. Louis XIV alla s’installer à Fontainebleau, traînant à sa suite la chambre de justice et ses prisonniers. Foucquet fut logé au château de Moret. Comme on n’osait pas lui ôter juridiquement l’assistance de ses conseils, on essayait de l’éloignement ; on voulait voir, disait-il, « si les corps lassés et