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occidental de l’Afrique, à l’ouest de cette ligne, est reconnu propriété française. C’est flatteur pour l’œil, sur la carte ; malheureusement cet énorme lot comprend le plus grand désert du monde, qui figure dans notre avoir pour les deux tiers, pour les trois quarts peut-être, qui sépare nos deux domaines utiles, l’Algérie, le Sénégal-Niger. Je laisse provisoirement de côté un appoint considérable, le Congo français, isolé plus bas, sous l’équateur ; cette région est encore dans la période d’exploration. Il serait prématuré de se prononcer aujourd’hui sur ce qu’on en peut attendre. Occupons-nous de notre empire du nord-ouest. Qu’allons-nous en faire ?

Rien, répondront quelques personnes, opposées en principe à toute entreprise coloniale. Avec celles-là, toute discussion serait oiseuse : on ne discute pas avec un principe. D’autres balanceront avant de répondre et demanderont d’abord à être renseignées sur le grand point : le Français est-il ou n’est-il pas colonisateur ? Cette devinette m’a toujours paru un peu puérile ; elle rappelle l’angoisse du rhétoricien en mal de poésie, qui se prend le front et s’interroge : « Ai-je ou n’ai-je pas du génie ? » Qu’il se mette à l’œuvre, on verra bien. L’histoire du passé témoigne des aptitudes colonisatrices de nos pères ; l’avenir, un avenir éloigné, sera seul juge des nôtres, quand nous aurons sérieusement essayé. La preuve expérimentale n’est pas faite après quelques années de tâtonnemens ; elle ne le sera jamais, si nous attendons cette preuve pour en préparer les élémens. J’écris ici pour ceux qui pensent qu’une grande nation ne peut se soustraire au mouvement général d’une époque, qu’elle ne peut se dérober à une tâche clairement désignée par l’histoire. Présentement, l’Afrique est le dynamomètre où chaque race vient essayer son énergie. Si notre race s’abstenait, l’histoire dirait un jour : « En ce temps-là, la France était malade ; elle ne concourait plus aux œuvres universelles ; toute la force qui mène le monde avait passé à d’autres. » Nous avons réclamé le champ qui nous était dû ; devant nos contemporains, devant nos héritiers, nous sommes engagés d’honneur à le cultiver. Nous y sommes engagés d’intérêt. On peut prévoir à bref délai une rupture économique entre l’Europe et l’Amérique, une oppression intolérable de l’ancien monde par le nouveau. Heureusement, l’Europe a trouvé son terrain de défense en Afrique ; elle aura bientôt sa ferme tropicale, d’où elle tirera tout ce que l’Amérique voudrait lui marchander à des prix ruineux, le coton, le café, les denrées et les matières premières les plus nécessaires pour la vie, pour l’industrie. Ceux qui n’exploiteront pas leur part de cette ferme seront les tributaires de leurs voisins. — Je n’insiste pas sur ces raisonnemens généraux. La France a le sentiment de son devoir, l’instinct