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convaincus des crimes qui leur étaient reprochés, et prononçait que, si l’on s’emparait d’eux, ils seraient livrés aux flammes et brûlés vifs.

Quoi qu’il en soit de la dernière ambassade de Dante, il semble probable qu’au moment où le premier arrêt le frappa, il n’était pas à Florence. Le plus vraisemblable est que, prévoyant les excès des Noirs dès leur retour, et se sentant menacé, il avait pris la route de l’exil avant même qu’elle lui fût imposée.


V

Si la biographie de Dante pendant la première moitié de sa vie est très incomplète, elle devient plus incertaine encore et plus invraisemblable pendant son exil. Pour le suivre, même de loin, dans ses diverses étapes, pour marquer ses séjours probables, pour fixer la date de ses écrits, il faudrait dépasser les limites de cette étude et entrer dans de fastidieuses discussions, sans d’ailleurs arriver à autre chose qu’à des conjectures plus ou moins spécieuses. Je me contenterai donc de marquer, sur quelques-uns des points les plus importans de cette période, les résultats des dernières recherches.

Contre l’opinion généralement accréditée sur la foi de Leonardo Bruni, il ne semble pas que Dante ait accompagné la majorité de ses compagnons d’exil à Sienne, où leur cause n’était pas sympathique et où ils ne purent s’établir, ni à Arezzo, l’éternelle ennemie de leur patrie, alors gibeline et gouvernée par Uguccione della Faggiuola, qui cependant ne leur fut guère plus favorable ; en sorte qu’ils durent se disperser et s’enfuir un peu partout. Il ne prit pas encore non plus part à leurs vaines entreprises pour rentrer par force à Florence ; il avait probablement, dès son départ, gagné Vérone où régnait un Scaliger, — pas encore Gan Grande, — qui lui fit bon accueil. Des traditions contestables roulent sur ce premier séjour, dont on ignore la durée : tout ce qu’on sait, c’est qu’en 1306 Dante était à Padoue. Encore n’en est-on pas sûr, et ne peut-on s’appuyer que sur un acte privé au bas duquel figure son nom un peu défiguré : Dantino Alligery. Si réellement, comme on a quelque raison de le croire, le Convito et le traité De vulgari eloquio datent de cette période, on peut croire que ces premières années d’exil ne furent point trop amères. Sans doute, Dante regrettait sa ville natale ; mais il la regrettait sans violence, sans amertume, sans invectives ; et son esprit s’ouvrait, et sa pensée restait sereine : « Mais nous, écrivait-il, dont le monde est la patrie, comme la mer est celle des poissons, quoique nous ayons bu de l’eau de l’Arno avant