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popolani et d’élargir la constitution dans un sens démocratique. On sait que les citoyens de Florence étaient classés d’après leurs métiers, divisés en « arts majeurs » et en « arts mineurs. » Ceux qui n’étaient point inscrits, les scioperati, étaient exclus du gouvernement de la république. Vers 1296, Dante Alighieri était inscrit à l’art des médecins et pharmaciens, qui comprenait aussi les peintres ; à ce moment-là, il prenait part aux délibérations du Conseil des Cent. Trois ans plus tard, il remplissait sa première ambassade : au nom de la commune de Florence et pour les intérêts du parti guelfe, il allait surveiller le renouvellement et la confirmation d’un nouveau capitano dans la commune de San-Gemignano. Le parti guelfe, auquel il appartenait encore et qui gouvernait depuis sa victoire de Montaperti, était un véritable État dans l’État : il avait ses magistrats particuliers (capituni di parte guelfa), ses séances, son sceau, son trésor, produit des contributions de ses membres et des confiscations opérées sur les gibelins ; son gouvernement s’étendait sur les communes toscanes. Comme les intérêts du parti guelfe se fondaient en ce moment avec ceux de la commune de Florence qu’il dirigeait, Dante fut chargé de les représenter l’un et l’autre.

Si l’on en croit la biographie courante, cette première et assez modeste mission de San-Gemignano ne fut que le prélude d’une brillante série de « légations, » presque toutes de première importance. Dante aurait été chargé, à quatorze reprises, de représenter la république florentine et dans des circonstances souvent capitales : avec Sienne et avec Gênes, il aurait réglé des différends de frontières contestées ; il aurait ramené des citoyens indûment retenus à Pérouse et sauvé un Florentin du supplice que lui réservait le roi de Naples ; obtenu tout ce qu’il voulait (on ne sait quoi, par exemple) du roi de Hongrie ; porté des présens de noces au marquis d’Este, qui lui aurait donné le pas sur les ambassadeurs des autres puissances ; défendu avec succès dans quatre ambassades les intérêts de sa turbulente patrie auprès du pape Boniface VIII. Toute une carrière diplomatique, et toujours heureuse… Mais de tant de services rendus à l’État, aucune trace n’a subsisté ni dans les chroniques ni dans les archives. Giovanni Villani, qui cependant, étant guelfe, aurait eu intérêt à revendiquer pour son parti l’illustre proscrit dont il veut conserver le nom, n’en dit pas un mot. En revanche, deux ans après la mission de San-Gemignano, nous trouvons l’Alighieri en train de remplir des fonctions plus modestes : il est tout simplement chargé de procéder au nettoyage et à l’élargissement d’une rue en mauvais état. Cette légende des quatorze ambassades n’ayant d’autre source que l’affirmation de Philelphe, il a fallu