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adverse. Mais, plus tard, il a reconnu qu’au fond on ne savait rien de plus d’un côté que de l’autre.

Quelle qu’ait été leur vie commune, Dante et Gemma eurent plusieurs enfans. Le nombre en va croissant de siècle en siècle. Leonardo Bruni parle « d’un fils parmi les autres, appelé Piero. » Philelphe en signale quatre ; Pelli monte jusqu’à sept. Ce chiffre fatidique a fait fortune, et le dernier écrivain qui ait tenté de résumer brièvement la biographie de l’Alighieri, M. Gildemeister, considère comme « historiquement établi » que Gemma donna à son époux « sept enfans en sept années. » M. Gildemeister, dont la notice est cependant très prudente, se montre ici trop crédule. En réalité, on ne peut affirmer d’une façon positive l’existence de plus de quatre enfans, deux fils et deux filles : Pietro qui s’établit à Vérone, où il devint juge et dont on peut suivre la descendance jusqu’au milieu du XVIe siècle ; Jacopo, qui paraît avoir vécu jusqu’en 1342 à Florence, où il recouvra les biens de sa famille ; Béatrice, dont le nom figure sur un document que Pelli a vu et qui a disparu ; et Antonia que M. Bartoli a découverte dans les archives florentines. Il faut s’en tenir là.


IV

Les renseignemens que nous possédons sur la vie politique de Dante sont moins précis encore et moins certains que ceux qui nous sont parvenus sur sa vie privée ; sa haute personnalité disparait dans l’histoire de Florence, si trouble, si complexe et si grandiose pourtant pendant ces années où, déchirée par des luttes intestines d’une extrême violence et tout en exilant, en poursuivant et en laissant massacrer ses plus illustres citoyens, elle développait ses arts, son commerce et sa fortune, si puissante, qu’elle allait bientôt braver l’empereur sans même daigner fermer ses portes devant lui. En sorte que Dante, homme d’un parti vaincu, rêveur d’un ordre de choses qui ne s’établit pas, la compare au flux et au reflux de la mer ou au vaisseau sans pilote dans la tempête, tandis que Machiavel, jugeant mieux les choses, de plus loin et d’un coup d’œil plus juste, s’écrie : « Il y avait bien entre les nobles et le peuple des motifs de colère et de soupçons, mais il n’en résultait aucun mauvais effet. Florence ne craignait plus ni ses exilés, ni l’Empire, et elle était de force à tenir tête à tous les états d’Italie. »

Dante entra dans la vie politique peu de temps après la réforme de Giano della Bella, qui venait de faire droit aux réclamations du