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Senoussiya de la Tripolitaine, des Kadriya du Soudan égyptien. Ces derniers ont fomenté la prise d’armes victorieuse du Mahdi, et il suffit de cet exemple pour nous montrer ce que nous pouvons attendre, à chaque instant, sur chaque point de l’Afrique. L’auteur de l’Islam au XIXe siècle dit très justement : « Les dénominations d’empire théocratique, d’imamat, peuvent fort exactement s’appliquer au domaine africain du senoussisme. Elles représentent beaucoup plus qu’une figure, et, à peu de réserves près, sont d’une entière exactitude. Il se produit réellement une agglomération politique, au sens islamique du mot, des populations africaines de la zone saharienne, sous la direction du grand-maître de la confrérie. »

Du réduit central, l’Islam rayonne en tous sens ; d’abord sur les populations métissées d’Arabes et de noirs, comme sont celles du Niger, du Sénégal ; ensuite sur les nègres fétichistes du sud. Poussées par l’esprit musulman, des vagues humaines roulent de l’est à l’ouest et viennent raviver la ferveur des indigènes, qu’elles subjuguent. Ainsi sont arrivés au Sénégal ces Foulbé, qui opposent aujourd’hui à nos armes une si fière résistance. C’est par l’ascendant religieux qu’un Samory, un Ahmadou, ont pu fonder en quelques années des empires aujourd’hui disloqués, mais toujours prêts à se reformer ; c’est le fanatisme qui souffle aux Toucouleurs le courage désespéré dont ils ont fait montre dans la dernière campagne.

Au-dessous de l’équateur, on retrouve les mêmes courans dans la même direction. Ici, ce sont les traitans de Zanzibar qui les dirigent ; un intérêt de lucre les guide, mais ils n’oublient pas la propagande. La tache d’huile, ou, pour mieux dire, la tache de sang, s’étend rapidement devant les chasseurs d’hommes. Nous avons vu comment M. Stanley, après quelques années d’absence, constate l’envahissement du Congo par les associés et les coreligionnaires de Tippou-Tib. M. Trivier est encore plus formel dans la relation de sa traversée du continent. « L’invasion des Arabes s’accentue chaque jour davantage : au train où ils vont, ils seront certainement aux portes des Bangalas avant deux ans. Que l’État indépendant y prenne garde ; c’est là surtout qu’est le péril. Tous les jours les Arabes avancent, le gouvernement de Boma le sait bien ; mais comme il n’y peut rien, il les laisse faire et s’en va annexer les provinces de l’Ouregga et de Manyéma. » Et plus loin : « Les avis qui m’avaient été donnés jusqu’à ce jour, de provenance blanche, jaune ou noire, étaient tous les mêmes sur l’envahissement du pays par les musulmans ; les personnes consultées étaient toutes d’accord sur la puissance et la popularité de Tippou-Tib. Il Avant Nyangoué, M. Trivier a traversé « vingt villages, tous gouvernés par des Arabes. « Il faudrait un volume pour