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attention à ce peuple de cour que s’il n’y avait eu personne dans la chambre. Je lui dis en m’approchant que le roi m’avait ordonné de m’approcher d’elle pour rassurer sa contenance et que cela ne durerait qu’un petit moment. Elle me dit que je lui faisais plaisir, et je ne l’ai quittée et ne lui ai souhaité la bonne nuit que lorsque ses femmes eurent refermé les rideaux et que la foule fut sortie. Tout le monde sortit avec une espèce de douleur, car cela avait l’air d’un sacrifice, et elle a trouvé le moyen d’intéresser tout le monde pour elle. Votre Majesté rira peut-être de ce que je lui dis là, mais la bénédiction du lit, les prêtres, les bougies, cette pompe brillante, la beauté, la jeunesse de cette princesse, enfin le désir qu’on a qu’elle soit heureuse, toutes ces choses ensemble m’inspirent plus de pensées que de rire. Il y avait dans la chambre tous les princes et les princesses qui composent cette cour, le roi, la reine, plus de cent femmes couvertes de pierreries et d’habits brillans. C’est un coup d’œil unique et je le répète, cela a plus l’air d’un sacrifice. »

Et quelques jours après : — « Je fus au souper où Mme la dauphine ne mangea pas… C’est la grande fatigue qui en est cause, et j’ai dit au roi que si on ne lui procurait pas de repos elle tomberait malade. J’en suis sur les dents de l’avoir suivie. Il fait une si forte chaleur dans les appartemens qu’il y a de quoi mourir, par la grande quantité de monde et de bougies le soir, avec cela ses habits ont été d’un poids que je ne sais comment elle a pu les porter… Le roi me fit prendre l’autre jour sa jupe, qui était sur un canapé, pendant que Mme la dauphine était à sa toilette, elle pesait bien soixante livres ; il n’y a aucune de nos cuirasses qui pèse autant. Je ne sais pas comment elle a pu tenir huit ou neuf heures sur ses pieds avec ce poids énorme[1]. »

« Il faudra donc que tout vous cède ! » disait Louis XV à Maurice, après quelque scène pareille ; et, de fait, il n’y avait moyen de rien refuser à un ami qu’on laissait entrer si avant dans ses secrets de famille, surtout quand cet ami était en même temps un grand serviteur de l’État, qui ne demandait que la liberté de rendre ses services plus glorieux encore et plus efficaces. Maurice obtint donc, avant de repartir pour la Flandre, ce qu’il désirait le plus au monde, la permission de conduire ses opérations à son gré et de les presser jusqu’où lui conviendrait. Mais rien ne prouve mieux

  1. Maurice à Auguste III, 12 février 1747. Cette lettre a déjà été citée dans la Vie de Maurice de Saxe, par M. Saint-René Taillandier. Pour l’ensemble de ces détails, voir l’ouvrage déjà cité : Vitzthum, Maurice de Saxe et Marie-Josèphe, p. 160 à 190. — Voir aussi : le comte de Loss au comte de Brühl, 18 février 1747. (Archives de Dresde.)