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mérite et sans mœurs, pas beaucoup plus croyant que son frère, et qui ne ferait pas d’honneur à l’église. Valori n’osa même pas faire part à Frédéric de ce refus déguisé. — « Qu’importe, répliqua-t-il, si l’abbé ne sert pas l’église, sa nomination servira au moins l’Etat, et l’Église n’est-elle pas dans l’État ? » — La raison parut convaincante à Puisieulx, et l’église de France posséda un dignitaire de la façon du roi de Prusse.

Si Puisieulx n’osait pas regarder en face un allié et un neutre, on ne pouvait attendre de lui une attitude plus énergique vis-à-vis des puissances ennemies dont les représentans étaient réunis à Bréda. Là aussi le changement de son langage fut complet. Lui qui avait si dédaigneusement blâmé l’extrême modestie des propositions qu’on l’avait chargé de défendre, — lui qui s’était vanté de malmener de si haut, tant les bourgeois de Hollande que le jeune lord anglais qu’il traitait de blanc-bec sans expérience, — baissant subitement de ton, se garda bien d’étendre en quoi que ce soit le terrain étroit sur lequel son prédécesseur s’était placé.

Son premier soin fut de réitérer les protestations de désintéressement absolu dont d’Argenson s’était montré si prodigue au nom de Louis XV. La seule différence, c’est qu’en professant ce système de renoncement, d’Argenson obéissait à des inspirations généreuses et à des maximes plus élevées que politiques : Puisieulx était tout simplement retenu par la crainte, en se montrant plus exigeant qu’on ne l’avait été avant lui, d’être rendu responsable de l’éloignement indéfini de la paix. Ce qui était excès de scrupules chez l’un n’était que timidité chez l’autre. En tout cas, rien ne ressemblait moins à la fameuse déclaration du grand cardinal annonçant à l’Europe, le jour de son entrée au pouvoir, que son roi en changeant de ministre changeait aussi de politique.

Il est vrai que pour tenir ce fier langage, il aurait fallu un autre interprète que celui que Puisieulx chargea d’aller porter la parole à sa place à Bréda. Ce rôle important fut confié (à la surprise générale) à un des deux premiers commis des affaires étrangères, La Porte-Dutheil, très bon serviteur à la vérité, dont on vantait l’intelligence et l’habileté et qui, depuis le commencement du siècle, avait été employé en sous-ordre avec succès dans toutes les négociations importantes. Mais son origine était obscure et, en dehors de son ministère, son nom était inconnu. C’était donc, dans les idées d’hiérarchie sociale qui régnaient alors, un bien petit personnage pour aller représenter la France devant l’Europe assemblée. Peut-être était-ce là son principal titre aux yeux de Puisieulx, à qui le rôle de plénipotentiaire avait servi de marchepied pour arriver au ministère, et qui pouvait craindre, en