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étions naturellement si bien ensemble que nous n’avions pas besoin de traité d’alliance, mais seulement d’agir toujours et de chaque côté, conformément à nos intérêts réciproques[1]. » — « Le duc de Richelieu, écrivait-il encore à Voltaire, a vu à Dresde des Dauphines, des fêtes, des cérémonies et des fats : c’est le lot d’un ambassadeur. » — Comme il était vraisemblable que Richelieu, plein de son importance, s’était vanté à Voltaire de ses hauts faits diplomatiques, c’était une manière assez directe de lui faire savoir, en haussant les épaules, le peu de cas qu’il convenait d’en faire.

En somme, il était impossible de témoigner au nouveau ministre français une confiance fondée sur moins d’estime. Autant valait dire en propres termes : Je vois que je vous suis tellement à craindre que vous n’aurez jamais le courage de vous séparer de moi. Aussi il se sentait désormais si bien maître de la situation qu’il ne craignait pas de donner publiquement aux agens français des témoignages de satisfaction pour les protéger contre le déplaisir de leur cour. Ainsi, Valori ayant exprimé la crainte que sa qualité d’ami de d’Argenson ne lui nuisît auprès de son successeur et fait mine de vouloir se retirer, il l’engagea à n’en rien faire, en l’assurant sur un ton de douce raillerie de sa protection. — « Le marquis de Valori, écrit le ministre Podewils, m’a fait entendre l’autre jour que ses amis en France l’avaient averti sous main que sa cour n’était pas trop contente de lui, et qu’elle pourrait bien le faire remplacer par quelque autre qui eût l’esprit plus vif et qui possédât mieux le don de plaire… — Vous pouvez lui dire, répond Frédéric, que tout ce qu’il vous a dit sur ce sujet nous est inconnu, et que je n’y ajoute aucune foi, que l’on était content de son personnel, et que dans les affaires on faisait autant de cas de sa pesante raison que de la brillante imagination des autres[2]. »

C’est avec la même confiance dans son crédit et la même conviction qu’on n’avait rien à lui refuser qu’il insista auprès de Valori pour faire obtenir un bénéfice ecclésiastique à l’abbé de Maupertuis, frère du célèbre mathématicien qui s’était attaché à sa personne et qui vivait retiré à sa cour. L’idée était étrange, car si Maupertuis avait quitté la France, c’était en grande partie parce qu’avec ses opinions philosophiques un peu trop libres, il ne s’y sentait pas en pleine sécurité. La proposition fut cependant transmise à l’évêque de Mirepoix, qui avait la feuille des bénéfices. Le dévot prélat se récria, disant que l’abbé était un petit collet sans

  1. Pol. corr., t. V, p. 310 et 324.
  2. Pol. corr., t. V, p. 325.