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et à ses lumières sur ce qu’il peut ou ne peut pas faire. Ses intérêts sont les nôtres et ne peuvent pas nous être indifférens. Il a la Silésie, il faut qu’il la garde. »

Puis, allant au-devant du soupçon qu’il lisait dans les regards de son interlocuteur : « Vous ne devez pas prendre le change sur nos relations avec la cour de Dresde. Notre traité de subsides avec elle et le mariage de M. le Dauphin ne nous permettent pas de rompre avec cette cour-là ; mais nous savons que M. de Brühl sera toujours Autrichien ou Russe, quoi que nous puissions faire. Nous ne pourrions nous en débarrasser qu’en le perdant, et il y aurait de la témérité à l’essayer, puisque nous n’y réussirions pas. Le mieux que nous puissions faire est de connaître la Saxe pour ce qu’elle vaut, et que notre confiance en elle n’aille pas jusqu’à un certain point… je le répète, jusqu’à un certain point[1]… »

Et, de crainte que la confidence ne fût pas assez textuellement rapportée, ses premières instructions, envoyées à Valori, étaient conçues dans des termes d’une amitié aussi chaleureuse : « Le roi de Prusse, disait-il, est trop éclairé pour ne pas sentir que le désir que nous avons de rendre la tranquillité à nos peuples et à l’Europe ne sera jamais capable, dans aucun cas, de trahir nos intérêts au point de négliger les siens. Son objet doit être de garder la Silésie et de se l’assurer à perpétuité ; et c’est aussi ce qui nous convient le mieux, l’acquisition qu’il a faite étant le seul fruit que nous retirions d’une guerre si longue et si sanglante[2] »

Enfin, averti que les bruits qui circulaient à Dresde sur les rapports de Richelieu avec Brühl inquiétaient sérieusement le ministre de Prusse et pouvaient être présentés par lui sous une couleur fâcheuse, Puisieulx chargeait spécialement l’ambassadeur de France, des Issarts, de rassurer son collègue : « Dites-lui bien, écrivait-il, que le roi n’a pas changé de principes, qu’il n’y a rien ou, du moins, rien de sérieux dans la mission qu’on prête au duc de Richelieu. Il ne peut avoir été question, dans cette prétendue mission, de rien qui puisse inquiéter la cour de Berlin… Il ne nous convient pas moins qu’au roi de Prusse lui-même que ce prince, à la paix générale, puisse demeurer tranquille possesseur de l’acquisition que ses victoires lui ont procurée[3]. »

D’Argenson, on en conviendra, n’aurait pas mieux dit. Les gouvernemens parlementaires ne sont donc pas les seuls où

  1. Chambrier à Frédéric, 18, 21 mars 1747. (Ministère des affaires étrangères.)
  2. Puisieulx à Valori. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  3. Puisieulx à Des Issarts, 11 avril 1745. (Correspondance de Saxe. — Ministère des affaires étrangères.)