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communiquées à l’impératrice, n’obtenaient d’elle que des réponses de plus en plus vagues et dilatoires ; ils demeuraient seuls en réalité à y attacher quelque importance[1].

La vérité, d’ailleurs, c’est que, pour faire sérieusement affaire avec Vienne, il aurait fallu se décider (surtout après les indiscrétions de Maurepas) à encourir successivement le déplaisir de Berlin. La chose absolument impossible, c’était de se rendre agréable aux deux endroits à la fois ; et sur ce point, Marie-Thérèse et Frédéric, parfaitement au courant de leurs sentimens réciproques, s’entendirent sans se concerter. Qui se rapprochait de l’un, par là même s’éloignait de l’autre. Or, si Puisieulx, comme tous les politiques de la cour, ne s’était pas fait faute d’accuser les faiblesses de d’Argenson pour un ami aussi douteux que Frédéric, quand, une fois ministre, il s’agit, en changeant brusquement cette attitude, de se poser lui-même en adversaire déclaré d’un souverain puissant et irascible, il semble que la peur le prît et que le cœur lui ait manqué. Il n’est assurément ni le premier ni le seul ministre à qui la responsabilité du pouvoir, tombée inopinément sur ses épaules, ait paru plus lourde qu’il ne pensait, et qui se soit empressé de courir après ses paroles, prononcées à la légère quand elles ne tiraient pas à conséquence. C’est à un sentiment de cette nature qu’il faut attribuer l’empressement subit qu’on le vit mettre, sans attendre qu’on lui eût fait un reproche ou même une question, à bien établir qu’en fait de fidélité et de dévoûment à l’alliance prussienne, il ne le céderait pas à son prédécesseur.

A peine entré en convalescence, il se fit ménager un rendez-vous avec le ministre de Prusse, à Plaisance, chez Paris-Duvernay, et là, ouvrant son cœur avec une sorte d’épanchement mélancolique : « Le roi de Prusse, lui dit-il, aurait pu faire quelque chose de plus pour nous qu’il n’a trouvé à propos ; au moins quelques démonstrations, en différentes occasions, qui nous auraient fait du bien ; mais il ne l’a pas cru convenable : cela doit nous suffire, parce qu’il connaît mieux ce qui convenait à ses intérêts que nous ne pouvons le faire. Nous sommes trop heureux d’avoir un ami et un allié aussi éclairé qu’il est, et qui gouverne ses affaires par lui-même. Il faut aussi que nous nous en rapportions à sa pénétration

  1. La correspondance de Richelieu avec Brühl se poursuit pendant les mois de février, mars et avril, jusqu’à la reprise des hostilités, en tournant en quelque sorte dans un cercle. Un point surtout parait faire une difficulté qui ne peut être levée. Marie-Thérèse refuse obstinément de comprendre, dans un arrangement avec la France, aucune convention relative à l’Espagne, avec qui elle se réserve de traiter directement par l’intermédiaire du Portugal. Elle demande aussi l’envoi d’un négociateur à Vienne, tandis que Richelieu insiste pour que, si on traite directement, ce soit à Paris que les conférences aient lieu. Le renouvellement de la guerre au printemps met fin à ces communications, qui ne présentaient plus d’intérêt.