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l’autre, Italien de naissance, était devenu Français depuis trop peu de temps. — « C’est une chose étrange, dit un excellent observateur, l’ambassadeur de Venise, que dans ce vaste royaume où il y a tant d’hommes intelligens, on n’en trouve aucun qui soit désigné pour un tel poste[1]. »

La question fut tranchée, au bout de quelques jours, par l’influence de deux personnages étrangers l’un et l’autre aux carrières politiques et à peine admis à la cour, l’intendant militaire Paris-Duvernay et le banquier du trésor, Paris de Montmartel. J’ai déjà eu plus d’une fois l’occasion d’expliquer l’importance croissante que s’étaient acquise ces deux frères intimement unis et qui se prêtaient un mutuel appui ; l’un devant son crédit à l’habile direction qu’il savait donner à l’administration militaire, l’autre à sa grande fortune et à des avances faites à propos à un trésor obéré. Sans leur concours, rien d’important ne pouvait être médité, et surtout rien d’heureux accompli sur le théâtre de la guerre. Et c’est par là qu’ils avaient su se rendre également nécessaires, j’ai presque dit également chers, aux commandans des deux armées que la France devait entretenir, à si grands frais, au nord et au midi, le maréchal de Saxe et le maréchal de Belle-Isle. La rivalité sourde de ces deux hommes de guerre et l’hostilité moins cachée de leur entourage étant connues de tout le monde, c’était un vrai tour de force d’avoir su se maintenir dans la confidence de l’un et de l’autre. Joignez, à ces amitiés précieuses, la vieille affection de Mme de Pompadour, et on comprendra que la vacance du pouvoir laissait les frères Paris, du fond de leur cabinet d’affaires, absolument maîtres du terrain ministériel. C’est ce qu’avait su discerner de loin un grand connaisseur, Frédéric, à travers les rapports verbeux et confus de son ministre Chambrier. — « Comme ce sera visiblement (lui écrivait-il même avant la chute de d’Argenson) le sieur Paris-Duvernay qui aura la plus grande influence, vous tâcherez de me le gagner et de le rendre favorable à mes intérêts par toutes sortes de politesses, que vous lui ferez de ma part… » et peu de jours après : « Entretenez soigneusement cette confidence, dont vous tirerez plus de lumières que de tout ce qu’il y a de ministres en France qui ne vous parlent jamais aussi intelligiblement que le sieur Duvernay l’a fait[2]. »

Le candidat préféré par cette discrète, mais toute-puissante influence ne fut autre que le marquis de Puisieulx, le

  1. Journal de Luynes, t. VII, p. 380. — Tron, ambassadeur de Venise à Paris, 30 janvier 1747. (Bibliothèque nationale.)
  2. Frédéric à Chambrier, 31 janvier, 10 février 1747. — Pol. Cor., t. V, p. 280-317.