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le Tanganyka sépare seul le territoire germanique du Congo belge. C’est un empire égal en superficie à l’Allemagne, dans une région fertile, habitée, susceptible d’un grand développement ; l’empire n’a qu’un inconvénient : il faut encore le conquérir sur des populations très récalcitrantes.

Ces combinaisons ont porté un coup irréparable aux grands desseins anglais sur l’Afrique orientale. C’en est fait de la route royale britannique, qui devait remonter du Cap jusqu’aux bouches du Nil sans solution de continuité. L’Angleterre prétendait couper la poire africaine dans le sens de la longueur ; l’Allemagne entend la partager dans le sens de la largeur ; les deux couteaux se sont heurtés ; c’est le dernier qui est resté dans le fruit. L’Angleterre a rencontré sur cette même route d’autres obstacles. Au sud, le Portugal avait fait, et depuis plus longtemps, le même rêve que l’Allemagne : un royaume transversal qui relierait Angola au Mozambique, par le bassin du Zambèze. On sait comment l’Angleterre en a usé avec les premiers conquérans de l’Afrique ; elle avait entendu les argumens de l’Allemagne, elle a eu l’oreille plus dure pour ceux du Portugal, la voix étant plus faible ; elle a saisi et continue d’envahir, sur le Chiré et dans le Mashonaland, des positions qui lui permettent de commander le Zambèze. L’Angleterre aura moins facilement raison d’une autre barrière qui s’est dressée devant elle, là où elle n’en attendait guère, en travers du Nil. Quand elle assuma la direction exclusive des affaires égyptiennes, poussées si loin vers le sud par Ismaïl-Pacha, elle put croire qu’elle tenait du coup la moitié de sa route d’avenir, d’Alexandrie aux lacs équatoriaux. L’explosion du mahdisme, en 1884, intercepta cette route sur une hauteur de 20 degrés. Il est pénible pour la grande nation anglaise que son installation en Égypte ait été le signal d’un phénomène sans précédent : le recul de la civilisation jusqu’à la deuxième cataracte. Sous toutes les dominations antérieures, pharaonique, grecque, romaine, arabe, chrétienne, le Kordofan était accessible aux échanges commerciaux, à des civilisations relatives ; la nuit de la barbarie est brusquement retombée sur ces contrées ; l’Afrique, ouverte sur tous les autres points, s’est refermée sur le plus anciennement connu.

En plus des Allemands et des Anglais, la côte orientale a vu débarquer des Italiens, durant ces années mémorables de l’invasion européenne. L’Italie a jeté son dévolu sur le massif montagneux qu’on appelle la Suisse africaine, habité par les populations chrétiennes du Tigré, de l’Abyssinie, du Choa. Descendus à Assab en 1882, à Massaoua en 188.5, arrêtés par l’échec de Dogali en 1887, les soldats et les négocians italiens prononcent leur mouvement vers les plateaux de l’intérieur, où leurs affaires semblent en assez bonne