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s’affranchir des vieilles influences, à se créer pour ainsi dire son personnel de gouvernement. Il a commencé par se délivrer du plus grand, du plus gênant de ses conseillers en le reléguant dans une solitude où il semble avoir disparu du monde. Il a changé son chef d’état-major général, son ministre de la guerre. Il a mis au ministère du commerce un homme nouveau, M. de Berlepsch, simple gouverneur de province. Il a appelé au ministère des finances un ancien national-libéral, M. Miquel, celui qui va défendre la réforme de l’impôt. Ces jours derniers encore, il a remplacé par le président de la régence de Francfort-sur-l’Oder le ministre de l’agriculture, M. de Lucius, qui, après s’être rallié au protectionnisme de M. de Bismarck, n’a pas voulu, paraît-il, revenir à une certaine liberté commerciale devenue nécessaire pour de nouveaux arrangemens avec l’Autriche. L’empereur Guillaume II a renouvelé presque tout son personnel, son instrument de règne. Qu’en fera-t-il maintenant avec ses idées peut-être un peu vagues de réformes économiques, financières, même sociales et surtout chrétiennes ? Est-ce un souverain réformateur qui se prépare à l’action ? Est-ce un prince impétueux et irréfléchi, jaloux de mettre son sceau personnel surtout ce qui l’entoure ? C’est précisément ce qui fait l’intérêt de cette situation qui se dessine à Berlin et qui promet peut-être plus d’une surprise.

Évidemment, les questions financières ont eu aussi leur rôle dans les élections qui viennent de s’accomplir en Italie, et peut-être même dans le fond elles ont eu le premier rôle. Ce n’est pas que cette crise électorale n’eût un intérêt politique. Il est bien clair que le chef du ministère, celui qui a réussi depuis quelques années à personnifier le gouvernement, à éclipser tout le monde, même un peu le roi, a eu la pensée d’obtenir du pays la sanction de ses actes, de ses idées, de l’espèce de prépotence qu’il s’est créée ; mais il n’est pas douteux non plus que le président du conseil lui-même, en homme avisé, savait à quoi s’en tenir ; il sentait bien que le point faible pour lui était dans la situation financière, dans la crise agricole et industrielle de l’Italie, que le sentiment universel de malaise répandu au-delà des Alpes était son plus dangereux ennemi ou dans tous les cas le plus efficace auxiliaire de ses ennemis. Aussi, dans cette campagne de pérégrinations électorales et de discours qu’il a récemment poursuivie, allant de Rome à Florence, à Palerme, à Turin, M. Crispi a-t-il réservé pour le dernier moment, pour le coup décisif à la veille du scrutin, sa harangue la mieux calculée pour la circonstance, l’exposé économique et financier qu’il a essayé de faire au banquet de Turin. M. Crispi a dit ce qu’il a voulu ; il a pu s’exalter lui-même en exaltant sa politique ; il a pu atténuer les déficits, déguiser les souffrances matérielles du pays, rejeter sur la France la faute des guerres meurtrières de tarifs. A y regarder de plus près, on pourrait distinguer aisément le soin qu’il a mis à