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occupe toujours les peuples, les affaires de finances n’ont pas un intérêt moins universel. C’est qu’en effet, nous vivons dans un temps où les questions d’industrie, de commerce, de crédit, ont autant d’importance que les questions de politique pure ou de diplomatie transcendante, et où toutes les nations se sentent liées par une invincible solidarité dans leurs affaires les plus positives. Au point où en sont les choses, ce qui se passe dans un pays a forcément ses contre-coups dans les autres pays. Il n’y a plus, désormais, de crises financières limitées, locales, et c’est ce qui fait que cet ébranlement qui vient de se manifester sur le marché anglais est devenu aussitôt une sorte d’affaire européenne, démontrant à la fois et l’universalité des mouvemens du crédit, et la solidarité de ceux qui disposent de ce crédit. C’est un événement qui a, certes, son importance dans les affaires du temps, et peut-être même une signification morale autant qu’une importance financière.

Bien qu’il passe pour le premier, pour le plus grand du monde par l’étendue et l’immensité de ses opérations, le marché anglais n’en est pas sans doute à sa première épreuve. Il a plus d’une fois subi comme les autres de redoutables, de menaçantes fluctuations, et depuis quelque temps particulièrement on sentait l’approche d’un orage dont on ne pouvait calculer les suites. On le distinguait à des signes sensibles, à l’aggravation de la situation monétaire, à l’élévation du taux de l’escompte, à la difficulté des transactions, à la suspicion qui pesait sur certaines valeurs. On avait la vague idée qu’il pourrait se préparer quelque chose comme ce qu’on appelle aujourd’hui un krach, lorsque la crise a éclaté avec une violence extrême, et par la nécessité où s’est trouvée la Banque d’Angleterre de recourir aux grands moyens et par la divulgation soudaine des embarras de la plus puissante maison de la cité, la maison Baring elle-même. On a d’abord essayé de déguiser le désastre ; la vérité n’a pas tardé à se faire jour : c’était la menace d’une catastrophe de bourse qui réunissait toutes les conditions pour émouvoir l’opinion. Il ne s’agissait, en effet, de rien moins que de la chute de l’opulente maison qui, depuis plus d’un siècle, a été identifiée avec la vie financière de l’Angleterre et s’est élevée par la fortune aux plus hautes dignités de l’aristocratie britannique, qui a trois pairies à la chambre des lords sous les noms de lord Ashburton, lord Northbrook, lord Revelstoke, deux de ses membres à la chambre des communes, un autre de ses membres représentant du protectorat anglais en Égypte, — et qui, avec tout cela, est restée toujours la puissante maison de banque dont la clientèle s’étend aux Indes, au Cap, en Australie, en Amérique, dans le monde entier. Le nom des Baring était partout. Comment la maison Baring a-t-elle été conduite à cette extrémité où elle s’est vue obligée d’avouer son impuissance ? On dit qu’elle s’est trop laissé entraîner dans les affaires financières de la