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encore parce qu’ils ne le pourraient pas plus aujourd’hui qu’il y a quelques années, parce que le jour où ils retrouveraient une majorité, ils seraient plus que jamais divisés. Il y a eu des momens où, à défaut de la monarchie qu’ils ne pouvaient relever, ils auraient pu aider à faire de la république un régime de garanties libérales et conservatrices. Ils l’ont pu avec M. Thiers, ils l’ont pu encore avec M. le maréchal de Mac-Mahon. Ils ont préféré répéter lestement ce mot d’un homme d’esprit que la république conservatrice était une bêtise, livrer l’expérience républicaine à elle-même, s’égarer dans toutes les tactiques, s’allier avec les radicaux contre les opportunistes, avec les opportunistes contre les radicaux pour renverser les ministères, escarmoucher en partisans autour du régime en attendant l’assaut. Les habiles, les raffinés, pour leur dernière campagne, ont trouvé piquant de se jeter tête baissée dans la plus équivoque des aventures, de faire alliance avec celui-là même qui avait exilé la maison royale, — et ils y ont laissé la dignité du parti, presque l’honneur du drapeau. Ils ont mérité de s’entendre dire cette dure parole : qu’en acceptant avec plus de générosité que de réflexion la responsabilité de tout ce qui a été fait, « la monarchie s’est suicidée auprès de tous ceux qui croient aux principes de la morale chrétienne suivant lesquels le mal n’est jamais permis, même pour amener le bien. » L’expérience est amère ! Il y aurait de quoi réfléchir, et au lieu de s’épuiser en récriminations, en violences injurieuses contre un évêque, on ferait mieux de reconnaître ce qui est pratique, possible pour le bien du pays.

Est-ce donc d’ailleurs que M. le cardinal Lavigerie, en publiant avec quelque éclat son adhésion à la république, ait parlé en homme prêt à tout livrer, sa foi, son caractère, les intérêts moraux et religieux dont il est le gardien ? Ce qu’il a dit est bien simple. Il a dit qu’après une épreuve de vingt ans, après ce qu’il a justement appelé « les hontes récentes, » le moment était venu de ne plus disputer avec des institutions acceptées, consacrées par le pays ; il a dit en même temps, dans son langage de prêtre, qu’on entrait dans l’édifice pour en soutenir les colonnes contre ceux qui voudraient tout détruire sous le regard des ennemis qui nous observent. Tout est là : la situation est précisée, le signal est donné ! Que la question soit destinée à être plus d’une fois encore débattue entre les partis, c’est possible ; mais parce que les partis, parce que les radicaux et des conservateurs irréconciliables s’obstineraient dans leurs divisions, serait-ce une raison pour ne point s’attacher à une politique qui seule replacerait la France dans une situation où elle pourrait décider librement de ses affaires morales, comme de ses affaires matérielles, comme de sa direction extérieure ?

Le monde d’aujourd’hui ne vit pas seulement de beau langage, encore moins de mauvais discours ou de vaines polémiques, pas même de protocoles réglant le partage idéal des continens, et si la politique