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de rude et de cacophonique. Et les métaphores, qui longtemps avant d’être des « ornemens du discours, » ont été, sont encore le moyen ou le procédé naturel de développement et, pour ainsi parler, de fructification des langues ? C’est l’imagination qui les trouve, mais si la rhétorique est l’art de s’en servir, de ne pas confondre une antithèse avec une similitude, si surtout elle nous apprend quand et comment on en use, avec quelle mesure et pour l’expression de quelles idées ou de quels sentimens, qui ne voit que, même ainsi prise, comme je disais, dans son sens le plus étroit, la rhétorique mène toujours et nécessairement de l’art d’écrire à celui de penser ?

J’aurais vraiment la partie trop belle, si je voulais montrer qu’elle est encore l’art de composer. Mettre de l’ordre dans ses pensées, mesurer à leur importance le développement que l’on en donne, passer de l’une à l’autre par des transitions qui ne s’aperçoivent point, régler l’allure de son mouvement sur quelque chose de moins capricieux que notre humeur, — je dirais presque de moins capricant, — c’est ce que de fort grands écrivains n’ont point su, faute d’un peu de rhétorique, un Montesquieu par exemple, et un Chateaubriand. En sont-ils moins grands pour cela ? demandera-t-on peut-être. Non ; mais ils n’en sont pas plus grands, je pense ; et l’Esprit des lois ou le Génie du christianisme, moins bien composés, en sont par cela même, l’un moins clair, moins intelligible, et l’autre, le second, moins persuasif ou moins démonstratif. Si, d’ailleurs, nul ne peut se flatter lui-même d’être Chateaubriand ou Montesquieu, c’est sans doute une raison de leur laisser leurs défauts, qui ne sauraient être couverts ou excusés que par des qualités égales ou analogues aux leurs. En attendant, on ne court aucun risque, s’il existe un art de composer et qu’il s’enseigne, de l’apprendre. Notez encore que ce genre de règles contient en soi le moyen même de s’en passer, s’il y a lieu. Savoir ce qu’il ne faut pas faire, c’est une partie de la justice, et une partie assez étendue, puisqu’en tout pays nous voyons que les codes roulent sur elle. La rhétorique nous apprend pareillement ce qu’il ne faut point ni écrire ni dire. Mais elle nous apprend de plus ce qu’il faut faire, et il ne s’ensuit pas que nous puissions le faire, mais, en vérité, je ne vois pas ce qu’il peut y avoir de mal à tenter de le faire.

Rappelons-nous enfin que ce sont ces rhéteurs qu’on méprise ou dont on se moque, ces peseurs jurés de mots et de syllabes, ces « greffiers » de l’usage, ces curieux en l’art de bien dire, ces éducateurs de la mode, un Balzac, un Vaugelas, les précieuses elles-mêmes, La Bruyère, Fénelon même, Voltaire surtout, un Rollin, un Rivarol, — combien d’autres encore ? — ce sont eux qui ont fait de notre prose française le souple et flexible à la fois, le délicat et le pénétrant, l’admirable instrument qu’elle est ; — ou qu’elle fut. Cette rhétorique plus haute