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gracieusement deux petites filles dont il était le père, le priant d’en choisir une pour lui et de remettre l’autre au général Borgnis-Desbordes. C’était la plus grande marque d’attachement et de reconnaissance qu’il pût lui donner et un de ces présens qu’on ne refuse pas. Toutefois, le colonel obtint, en le remerciant, qu’il gardât provisoirement ces deux demoiselles auprès de lui. On prétend que lorsqu’une jeune Bambara entre dans la maison d’un blanc, si humble qu’y soit sa situation, elle ne tarde pas à y commander. On n’en peut faire sa cuisinière, et il est peut-être dangereux d’en faire autre chose. Le mieux est de la laisser à Diocé.

Malgré ses brillans succès, le commandant supérieur ne se flattait point d’en avoir fini avec le sultan de Nioro ; il savait que ce sanglier traqué, acculé dans sa bauge, ne tarderait pas à faire un retour offensif, que, pour le réduire, une seconde campagne serait nécessaire, et il avait pris ses précautions avant de venir passer quelques semaines en France pour s’y refaire de ses fatigues. Il avait prévu qu’avant peu Ahmadou tenterait de reprendre Koniakary, de nous arracher des mains cette clé de sa maison. Le tata était intact ; par de nouveaux ouvrages, on le mit à l’abri de toute attaque, et il fut armé de deux canons de 4 de montagne. Le poste fut mis sous les ordres du lieutenant Valentin, assisté d’un sous-lieutenant et d’un docteur militaire. La garnison était composée d’un sergent européen et de quarante tirailleurs indigènes, ayant chacun 400 cartouches. Yamadou, roi du Khasso, à qui le village avait été remis, y montait la garde avec quatre cents guerriers ; mais vingt guerriers ne valent pas un soldat.

Dès le mois d’août, on apprit qu’Ahmadou avait fait serment de reprendre Koniakary ou de mourir ; en Afrique comme en Europe, on promet plus qu’on ne peut tenir. Il comptait sur la saison des pluies, sur les marigots coulant à pleins bords, sur les chemins devenus impraticables, pour empêcher les Français de secourir la place. Il avait fait apporter à Kolomé 300 échelles, et ses principaux guerriers avaient juré sur le Coran d’aller les appliquer eux-mêmes contre le mur du tata. Parti de Nioro avec ses chefs sofas et ses chefs talibés les plus renommés, trois de ses fils, quatre de ses frères et 4,000 Toucouleurs, son armée, grossie par les contingens recrutés dans tous les cantons qu’il traversait, était forte de 10,000 hommes. Ses soldats tiraient leur subsistance d’où ils pouvaient, et, comme des loups affamés, ils couraient les villages pour les mettre à sac et les brûler.

L’assaut fut livré le 8 septembre au matin. Nos deux canons jouèrent un rôle décisif dans cette affaire ; 82 coups furent tirés, et les Toucouleurs ne purent pas même arriver au pied du mur. Après un combat acharné de trois heures, ils se retirèrent. Ils avaient eu 300 morts et de nombreux blessés, et, dans leur effarement, contre