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des rouges lueurs matinales. Il ajouta que la mère-grand était une vieille Aurore. Poulie, la petite chienne de la Belle au Bois dormant, dit à M. André Lefèvre qu’elle n’était autre que Saramâ, la chienne du Rig-Véda qui cherche l’Aurore. Petit-Poucet conta à M. Gaston Paris qu’il avait été le postillon de la Grande Ourse, où sa place est encore marquée par une toute petite étoile. L’âne de Peau-d’Ane révéla à M. Hyacinthe Husson qu’il était « la brume humide derrière laquelle l’Aurore se dérobe, échappant ainsi à la poursuite du Soleil. « Il n’y eut pas jusqu’à la pantoufle de Cendrillon qui ne voulût se donner des airs. Elle souilla un mot sanscrit à M. de Gubernatis, qui s’en servit pour lui fabriquer une généalogie grandiose.

Fasse le ciel que ces découvertes, si curieuses du reste, restent confinées dans les ouvrages spéciaux, et qu’on ne s’avise pas d’enseigner aux enfans, dans une louable intention et afin de rendre à la légende sa majesté primitive, que les filles de l’ogre sont les sept flammes d’Agni, et les frères de Mme Barbe-Bleue les Asvins, représentans des deux crépuscules. Ce serait chasser un rêve consolateur pour le remplacer par une leçon de philologie comparée. Laissez à l’enfant ses amis surnaturels, les doux redresseurs de torts, dont la pensée lui inspire une divine sécurité. Il aime à sentir le monde peuplé d’êtres puissans parmi lesquels il ne se rencontre pas seulement de méchans loups et de vieilles Carabosses, mais aussi de bonnes fées et des animaux à l’esprit subtil, qui jouent le rôle de justiciers. L’enfant s’aperçoit de bonne heure que la vie et les hommes sont injustes. Il se rassure en songeant avec confiance au coup de baguette qui va sauver l’innocence et confondre le méchant. A mesure que sa raison s’éveille, et sous l’obsession d’un persistant désir de justice, son penchant enfantin pour le merveilleux se développe en sentiment religieux. Il a cessé de croire aux baguettes magiques : il conserve l’habitude de regarder en haut.

On s’en est aperçu, et c’est une des raisons qui font aujourd’hui bannir les contes de fées de tant d’éducations. Aucun père n’a vraiment peur que son fils, devenu grand, croie aux fées et aux animaux qui parlent. Beaucoup craignent qu’il ne puisse prendre son parti de redescendre pour toujours dans la région des faits positifs, et leur prudence l’y retient dès le bas âge. D’autres s’imaginent de bonne foi sauver la rectitude de son jugement en substituant à Perrault un roman scientifique où l’on va en ballon dans la lune selon toutes les règles de la mécanique et de la physique, ce qui, apparemment, ne peut pas donner d’idées fausses aux