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provinciales l’ont réduit par leur opposition tenace à cette extrémité, et lui ont donné pour successeur un libéral des plus estimés, retiré pour ce motif de la politique depuis quinze ans. Dans la plupart des autres provinces, les gouverneurs n’ont évité un pareil sort qu’en appelant au ministère les chefs locaux de l’Union civique et en se transformant, d’ardens panalistes, en civiques résignés. Il y en a bien quelques-unes, les plus arriérées et les plus pauvres, où le clan au pouvoir ne veut entendre à rien, grossit sa police en faisant la presse des pauvres gauchos, et flanque les civiques en prison. On laisse ces représentans d’un autre âge procéder suivant leurs traditions. Cela ne durera guère ; il y a lieu de compter sur le manque d’argent pour les assouplir.

Il ne faut pas croire, en effet, que cette pacification à peu près générale soit seulement due à l’habileté du général Roca. Le ministre des finances y peut revendiquer la part la plus décisive. Grâce à lui, les banques libres, qui coûtent si cher au pays, auront du moins plus fait pour affermir l’autorité du pouvoir central que dix ans de batailles. Le docteur Vicente F. Lopez avait soixante-quinze ans quand il accepta la tâche écrasante de remettre de l’ordre dans les finances argentines ; mais de talent, de caractère et d’allures, c’est un jeune homme. Orateur, historien, homme d’Etat, professeur d’économie politique, il a appliqué aux objets les plus divers son goût acharné du travail et la vivacité de son intelligence. Il a même débuté dans les lettres, il y a un demi-siècle, par un important ouvrage en français sur les origines aryennes des aborigènes du Pérou. Il apportait au gouvernement les fortes traditions des libéraux de son époque, solide génération élevée à la dure, dans les amertumes et la misère de l’exil, qui travailla ferme, organisa et civilisa la République Argentine, l’enrichit et resta pauvre, — juste le contraire des hommes politiques dernier genre. Il se mit à l’œuvre avec une ardeur méthodique, étudiant par le menu l’état du Trésor et des banques, sans se presser d’émettre une opinion, sans se déconcerter des découvertes navrantes qu’il faisait chaque jour.

Les lois financières qu’il présentait, après cet examen minutieux, avaient un caractère rassurant de parcimonie. Il fallait bien subir la nécessité d’un emprunt extérieur ; on était hors d’état de faire le service de la dette ; mais il proposa d’emprunter seulement 20 millions de piastres, dont il ne viendrait pas un sou à Buenos-Ayres. Cette somme resterait déposée à Londres et serait affectée aux échéances successives des emprunts antérieurs. On était ainsi, de ce côté, libre de soucis pour deux ans. Restait la liquidation intérieure, terriblement compliquée. Pour la faciliter, il se fit autoriser