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Paraguay. Il l’a placé à la tête de l’état-major-général, en élargissant à cette occasion les attributions déjà fort étendues de ce poste. C’était aux titulaires des portefeuilles de l’intérieur et des finances que revenait la plus lourde part de labeur et de responsabilité.

Le général Roca fut appelé au ministère de l’intérieur. Cette nomination présentait des avantages et des inconvéniens. Fils des provinces, élevé par elles au pouvoir, sa présence dans le conseil apaisait les susceptibilités que n’eût pas manqué d’éveiller un ministère exclusivement porteño. Il a été mêlé de très près à toutes les manigances des politiciens de l’intérieur, et connaît sur le bout du doigt le personnel des factions locales. Nul n’est plus à même que lui d’interposer ses bons offices pour éviter des coups de force, dont l’effet serait désastreux, et faire tout rentrer dans l’ordre en douceur. D’un autre côté, l’opinion libérale est restée singulièrement soupçonneuse à l’égard du général Roca, qui organisa jadis à son profit la ligue des gouverneurs et gratifia la république de la présidence du docteur Juarez Celman. On est enclin à prendre en mal tout ce qu’il fait ; on trouve que ses fonctions l’investissent d’une influence trop directe sur les caciques impénitent de l’intérieur, et lui permettraient, s’il en avait le dessein, d’ourdir avec eux des alliances en vue de sa propre élection. Il a prodigué à cet égard les assurances les plus formelles dans ses discours, dans des conversations publiées avec son assentiment et dont il faisait annoncer qu’il avait corrigé les épreuves. Son désistement anticipé de toute candidature a été proclamé par lui d’une façon assez catégorique pour être au moins maladroite, s’il avait la moindre arrière-pensée de revenir sur cette décision. Tout porte à croire qu’il est sincère, qu’il a été dégoûté par sa propre expérience, et surtout par celle de son beau-frère, de la tentation de gouverner les Argentins malgré eux. C’est une entreprise où, à l’heure qu’il est, on serait sûr de recueillir plus d’amertumes que de satisfactions.

Quoi qu’il en soit, sous l’influence de sa politique conciliante, flexible, un peu sournoise, la situation des provinces, sans être encore fort nette, s’est en deux mois considérablement éclaircie. Le président du Panai, le farouche don Marcos, qui avait l’intention de bouleverser l’état, a été amené à donner purement et simplement sa démission de gouverneur. Il a été remplacé par le vice-gouverneur, non moins panaliste, il est vrai, mais insignifiant à miracle, et dont la languissante administration n’est pas pour porter ombrage à la paix publique. A Tucuman, autre citadelle du juarisme, le vice-gouverneur, qui occupait le fauteuil, a dû également plier bagage sans tambour ni trompette. Les chambres