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Ce discours, où l’on annonçait sa mort, fut le glas funèbre du gouvernement. Il a beau prolonger l’état de siège, soumettre la presse à la censure préalable, ce qui fait que les journaux d’opposition refusent de paraître, laissant les siens dire tout à l’aise ce qui leur plaît, désormais le docteur Juarez Celman est seul, il semble qu’il ait la peste. Le congrès tourne, le cabinet se disloque. Il s’adresse successivement à ses ennemis de toute nuance pour former un ministère. Il est prêt à tout, pourvu qu’on lui épargne cette humiliation suprême de sortir de la Maison-Rose piteusement. Il y réunit en conciliabule les membres du congrès, si dévoués hier, solidaires de sa politique en somme. Ne trouveront-ils pas le moyen d’éloigner de lui ce calice ? Leur réponse est qu’il doit partir. Eh bien, soit ! il se démettra ; mais que le général Roca donne aussi sa démission de président du Sénat, c’est lui qui l’a miné. Le général Roca fait à l’instant droit à cette exigence. Il offre de renoncer par-dessus le marché, si le rétablissement de la confiance en dépend, à son grade de lieutenant-général. Le docteur Juarez trouve encore à épiloguer ; et don Carlos Pellegrini ? quoi, il lui succéderait ! qu’il donne aussi sa démission de vice-président de la république ! Le docteur Pellegrini est sur le point de faire comme le général Roca. Ce sont les libéraux qui interviennent. Ils accourent lui représenter que ce n’est pas là un caprice d’enfant gâté, que c’est bel et bien une perfidie. Le président et le vice-président donnant leur démission, le nouveau président du sénat prendrait possession du pouvoir, à seule fin de procéder, dans le délai d’un mois, à l’élection présidentielle. Ce serait le triomphe du Panal, qui a mainmise sur toutes les provinces et s’entend comme personne aux manipulations de scrutin. Le docteur Pellegrini se rend à ces raisons, refuse d’envoyer sa démission. Le docteur Juarez reprend la sienne, que le président de la chambre a gardée tout un jour dans sa poche, refusant de la communiquer et de la laisser prendre en considération. Le congrès eût, en somme, vu sans déplaisir la réussite de cette combinaison in extremis. Si un changement de personne lui paraissait inévitable, un changement de régime ne laissait pas de l’alarmer. Il fallait pourtant en finir.

Un jour se perd encore à constater une fois de plus que la formation d’un ministère est impossible. C’est au docteur Rocha, son ancien compétiteur, que le docteur Juarez demande en désespoir de cause de le constituer. Le docteur Rocha accepte la mission sans enthousiasme, et y échoue rondement. Le président n’a plus de branche où s’accrocher. Il circule parmi les sénateurs et les députés une adresse qui ressemble fort à une sommation où on l’engage à prendre sans plus tarder le seul parti qui lui reste ;